Vladimir Poutine sera-t-il jugé un jour par la Cour pénale internationale (CPI)? Sur scène, une adolescente pleurant sa famille tuée en Ukraine imagine un tel dénouement à la guerre, sous le regard d’un public bulgare bouleversé. Initialement créée en Pologne, la pièce, sobrement intitulée «La Haye», se joue actuellement au Théâtre national de Sofia. Dans ce pays de l’UE, ancien état communiste d’Europe de l’est historiquement lié à la Russie, où les thèses du Kremlin séduisent encore une large frange de la population, le pari était risqué.

Il est visiblement réussi. Salle pleine à craquer, comédiens ovationnés, auditoire ému aux larmes. «Les spectateurs sont secoués et se posent des questions», salue Galin Stoev, metteur en scène de la version bulgare. Choqué par «une agression injustifiable» contre l’Ukraine, il explique à l’AFP avoir voulu «intervenir à son niveau» pour ouvrir les yeux des Bulgares, dont «30% sont pro-Poutine selon des études». Quand il a découvert le texte de l’auteure ukrainienne Sacha Denissova, Galin Stoev – un Franco-Bulgare par ailleurs directeur du Centre dramatique national de Toulouse – n’a pas hésité.

L’argument ? Une jeune fille, dont les proches ont été fauchés par des bombes russes dans l’enfer de Marioupol, y livre «avec des yeux d’enfants son interprétation de la terrible réalité de la guerre» et son rêve, celui de voir livrés à la justice «Poutine et sa clique». Le président russe y est campé par une femme. Costume noir, cravate et souliers rouges, elle se transforme à la fin en fée cruelle de contes, vêtue d’un jupon transparent et s’exprimant à la façon du «Roi Soleil» Louis XIV: «La Russie c’est moi, je suis la Russie.» Comme pour Adolf Hitler moqué par Chaplin, «il faut rire de Poutine sans merci», car la satire l’affaiblit, estime Sacha Denissova.

La pièce mêle «des répliques connues de personnalités réelles», dans un style très documenté, et un «avenir inventé». «Si nous ne parvenons pas à voir le procès de La Haye dans la réalité, regardons-le au théâtre», lance-t-elle à propos de son spectacle écrit avant même que Vladimir Poutine ne soit visé, en mars, par un mandat d’arrêt international de la CPI pour la «déportation» d’enfants ukrainiens vers la Russie. Sacha Denissova l’a d’abord créée à Poznan en Pologne, où elle avait fui, avant d’être invitée aux États-Unis. Avec à chaque fois, des adaptations et troupes différentes selon les pays.

Principal défi, adapter constamment la pièce au gré des rebondissements de l’actualité. Yulian Vergov, qui interprète Evguéni Prigojine, raconte sa panique devant la nécessité de revoir tout son texte après la mutinerie avortée du patron du groupe Wagner, puis sa mort dans l’explosion en vol de son avion fin août. «Nous avons ajouté de nouvelles lignes, et puis encore de nouvelles» quasiment en temps réel, en laissant planer le doute sur son sort, dit-il. «C’est la première fois que j’étais confronté à cette expérience: jouer un vrai personnage qui meurt pendant les répétitions. C’est impressionnant».

La troupe suit aussi les dernières rumeurs sur l’état de santé du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, fidèle allié de Poutine, ou encore du président russe lui-même. De rares critiques ont émergé sur la «partialité» de ce théâtre politique, qualifié par un de ses détracteurs de «vaudeville de propagande». Un acteur a quant à lui décliné un rôle pour des raisons idéologiques, dans un milieu culturel généralement réticent à s’immiscer dans le débat public.

«Nous invitons le spectateur à réfléchir sur des événements réels, à tirer ses propres conclusions, répond le directeur de la salle Vassil Vassilev. La politisation, c’est tout l’inverse: quand on nous dit ce qu’il faut penser».

L’actrice Radena Valkanova – Poutine sur scène – se réjouit de l’accueil positif. «La pièce est là pour réveiller les mentalités dans une nation trop passive» qui n’a pas conscience des horreurs de la guerre, juge-t-elle. Après une escale à Toulouse, Galin Stoev esquisse un souhait: présenter La Haye dans les campagnes de sa Bulgarie natale, privées d’accès à la culture et sensibles aux arguments prorusses.