Le poète, romancier, dramaturge et critique Jean Ristat, exécuteur testamentaire de l’œuvre de Louis Aragon et d’Elsa Triolet, s’est éteint ce dimanche 3 décembre. Il avait 80 ans. Dans un communiqué, Guillaume Roubaud-Quashie, le directeur de la Maison Triolet-Aragon, installée dans un ancien moulin à eau de Villeneuve (Yvelines) et lieu de villégiature du couple à partir des années 1950, a écrit : «C’est cet homme généreux et humble, érudit et de talent premier, que la Maison Elsa Triolet-Aragon a la douleur de perdre et qu’elle veut saluer avec respect et reconnaissance.»

Dans son dernier recueil en date, Ô vous qui dormez dans les étoiles enchaînés (Gallimard) publié en 2017, Jean Ristat avait confessé : «Te voici donc monsieur emporté sous nos yeux/Par l’armée des ombres en un éclair qui s’enflamme / Et passe avant de rendre à la nuit sa guenille/Te voici théâtre Ô théâtre de la mort / Avec ton cortège de figurants sourds et / Muets l’orchestre des oiseaux soudain s’est tu». La même année, il poursuit la publication de ses chroniques, portraits, interviews, sous le titre Qui sont nos contemporains, où l’on croise Philippe Sollers, Antoine Vitez, Nathalie Sarraute, et du côté des classiques : Rimbaud, Lautréamont, Tristan Corbière ou Emily Dickinson. Des textes qui pour la plupart ont paru dans Le Monde, L’Humanité, la Gazette de Lausanne ou Les Lettres françaises, dont il fut le directeur, et bien sûr de la revue littéraire Digraphe (qui deviendra une collection éditoriale), qu’il avait créé, et dont le nom lui avait été soufflé par son professeur de philosophie, un certain Jacques Derrida.

Né en 1943 dans une famille modeste d’une bourgade du Cher, Ristat sera un fidèle compagnon de route du Parti communiste, et le confident de Louis Aragon, doublé de son conseiller, auquel il consacrera de nombreux ouvrages, notamment l’album de la collection de la Pléiade en 1997, sans compter de nombreux inédits du poète qui l’appelait «le continuateur», et qu’il fera publier, notamment le Carnet érotique illustré de 1975, J.R-75, sous-titré «Le Cadeau à Jean».

Ristat fait son entrée en littérature à 22 ans, avec Le Lit de Nicolas Boileau et Jules Verne, salué par un article d’Aragon – auquel il va désormais lier son destin. Cinq ans plus tard, en 1970, il publie Du coup d’État en littérature suivi d’exemples tirés de la Bible et d’autres Auteurs, où passent Marat et Charlotte Corday, Artaud, Osiris, Zeus… Jean Ristat se tourne ensuite vers la chorégraphie et le théâtre, travaillant notamment avec Roland Petit (les ballets Allumez les étoiles d’après Maïakovski, et La Rose malade, inspiré de William Blake). Durant la même période, il traduit les Exercices spirituels de Loyola, préfacés par Roland Barthes.

Ce fils spirituel d’Aragon, gardien du temple qui veillait jalousement sur l’œuvre et l’image de son maître, allant jusqu’à censurer certains textes compromettants, poursuivra ensuite une longue carrière d’auteur. Il enchaîne ainsi œuvres théâtrales (La Perruque du vieux Lénine, L’entrée dans la baie et la prise de la ville de Rio de Janeiro en 1711), romans (l’épistolaire Lord B, Le Déroulé cycliste en 1996), poésie (Le Parlement d’amour en 1994, NY Meccano en 2001).

La collection de poche «Poésie/Gallimard» lui avait consacré en 2018 un volume reprenant les recueils Ode pour hâter la venue du printemps, Tombeau de Monsieur Aragon, La Mort de l’aimé, et Le Parlement d’amour. On pouvait y lire les vers suivants, toujours dans ce registre lyrique, élégiaque et fleuri, dont il s’était rarement écarté : «Ce que le temps nous a donné il le reprend/Amant dérisoire au milieu de la nuit/Je ne me souviens que du jour et je pleure/Voilà des vers anciens comme un chapelet/Que j’égrène tandis qu’à la fenêtre je/Regarde passer la lune où dorment les morts»