« Je n’aurais jamais imaginé vivre une telle révolution ! » Amandine Luquiens, psychiatre addictologue au CHU de Nîmes, est enthousiaste : elle vient de prendre en charge le tout premier patient* d’une étude pionnière en France sur la psychothérapie assistée par psilocybine, la substance active des champignons hallucinogènes.

Menée à l’Hôpital de réadaptation, de rééducation et d’addictologie du Grau-du-Roi (Gard) sur 30 patients atteints de troubles de l’usage de l’alcool associés à la dépression, celle-ci va tout d’abord étudier « la faisabilité et l’acceptabilité » du traitement avant qu’il ne soit éventuellement évalué sur une plus grande cohorte. « Nous incluons des patients dont l’addiction est sévère et chez qui les signes de dépression restent présents après le sevrage, ce qui est un gros facteur de risque de rechute », précise la Dr Luquiens. En moyenne, près de la moitié des patients alcoolodépendants rechutent dans les 6 mois suivant une cure de sevrage, et un tiers des patients dépressifs sont résistants aux traitements actuels.

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Les psychédéliques ont plusieurs avantages sur les médicaments antidépresseurs, qui justifient le regain d’intérêt des médecins à leur endroit. Ces produits qui modifient l’état de conscience semblent efficaces en une ou deux prises, de façon immédiate et persistante. Ils agissent sur les récepteurs de la sérotonine, un neurotransmetteur notamment impliqué dans la gestion des humeurs et de l’anxiété, et induisent une altération profonde des perceptions et de la conscience, indique l’Inserm. Dans le cadre d’une étude récemment publiée dans Scientific Reports , des chercheurs new-yorkais ont fait passer des IRM à 11 patients dépendants à l’alcool, trois jours avant d’avoir bénéficié d’une psychothérapie assistée par psilocybine, puis deux jours après. Ils montrent des modifications de l’activité cérébrale qui « suggèrent une meilleure action dirigée vers un but, une meilleure régulation émotionnelle et une diminution de l’état de manque ».

En novembre 2023, une étude américaine d’ampleur menée sur 233 patients résistants aux antidépresseurs et publiée dans le New England Journal of Medicine montrait quant à elle une amélioration significative et durable chez ceux ayant reçu 25 mg de psilocybine associé à une psychothérapie, soit 79 participants (les autres ayant reçu 10 ou 1 mg). Les auteurs rapportaient cependant que « des événements indésirables sont survenus chez 179 des 233 participants (77 %), notamment des céphalées, des nausées et des vertiges. Des idées ou comportements suicidaires ou des actes d’automutilation ont été observés dans tous les groupes de doses. »

Le maniement des psychédéliques nécessite donc un encadrement étroit de la part de l’équipe médicale. Chaque session doit avoir lieu dans un environnement chaleureux et rassurant, avec un accompagnement des soignants qui doivent rester auprès du patient tout au long de l’expérience. « C’est chronophage pour les soignants, mais si cette stratégie s’avère efficace, elle pourrait être efficiente car en seulement deux prises le patient pourrait entrer en rémission », souligne Amandine Luquiens. Les patients, sevrés d’alcool depuis au moins deux semaines, recevront de la psilocybine à deux reprises, à trois semaines d’intervalles. « Ils resteront hospitalisés pendant 4 semaines, ajoute le médecin. Nos patients peuvent avoir des complications liées au sevrage et sont vulnérables psychologiquement. »

C’est pourquoi la prise de psilocybine est associée à une prise en charge psychothérapeutique avant, pendant et après la session. « La veille, on leur explique en détail ce qui va se passer, et on travaille avec eux sur leurs intentions, détaille le Dr Luquiens. On les prépare également à faire face à des difficultés émotionnelles qui pourraient survenir pendant la séance, pour qu’ils se sentent en sécurité. » Entre les deux séances, « tout un programme de soins intensifs de prévention de la rechute d’alcool est mené durant l’hospitalisation ». Les patients pourront en revanche repartir au lendemain de la seconde prise de psilocybine.

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Le jour de la session, la chambre du patient est transformée en un cocon accueillant avec, par exemple, la présence de plantes vertes et la diffusion d’une musique spécialement conçue pour ce type d’expérience. « Nous avons la chance d’avoir un très bel hôpital. Toutes les chambres ont vue sur la mer, nous n’avons donc pas beaucoup d’efforts de décoration à faire ! », reconnaît le médecin. La psilocybine agit une quarantaine de minutes après la prise et son effet dure six heures, pendant lesquelles le patient, allongé sur son lit, les yeux masqués, doit être sollicité le moins possible : l’expérience psychédélique est un voyage intérieur que rien ne doit venir perturber. « On essaye même de ne pas bouger de notre chaise, glisse le médecin. En revanche, nous sommes présents à tout moment à côté du patient : il peut ressentir des choses plus ou moins intenses, avec parfois des reviviscences de moments difficiles ou de l’anxiété. C’est important d’être accompagné tout au long de l’expérience et de se sentir en sécurité psychique. »

Les patients sont répartis en deux groupes, par tirage en sort et en double aveugle : les deux tiers prendront 25 mg du produit, les autres une microdose de 1 mg, le tout en complément de leur traitement habituel. Les deux dosages expérimentés constituent « les schémas qui ont été le plus documentés dans les études sur la dépression résistante », explique Amandine Luquiens. La molécule a reçu une autorisation spéciale de l’Agence du médicament dans le cadre de cette étude, et est conditionnée en gélules au sein de la pharmacie de l’hôpital.

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Le médecin met en revanche en garde contre une utilisation de psilocybine sans accompagnement, hors cadre médical : « D’une part, c’est un produit interdit en France, donc il est difficile de savoir exactement ce que l’on consomme. En outre, des complications médicales peuvent apparaître qu’il faut savoir prendre en charge, comme une hypertension. Enfin, sans accompagnement psychothérapeutique, des émotions négatives risquent de perdurer et d’aggraver la dépression. Dans certains États américains , où la consommation de champignons hallucinogènes a explosé, le nombre de passages aux urgences pour état d’anxiété majeure chez des gens ayant pris ces produits dans un cadre récréatif a plus que doublé ! »

En France, d’autres essais du même type sont prévus par d’autres équipes, avec de la psilocybine et une autre molécule issue de l’ergot de seigle : le fameux LSD. Ils signent le grand retour de la médecine psychédélique. Avant d’être détournées à des fins récréatives, ces substances avaient en effet été développées comme médicaments contre la dépression, l’anxiété ou la dépendance à l’alcool. Des travaux menés aux États-Unis avaient notamment montré des bénéfices à l’usage médical de ces produits, et la France comptait aussi parmi les premiers pays à étudier les effets de la psilocybine. Mais l’apparition des antidépresseurs, le peu d’entrain des psychiatres français à les utiliser dans le cadre d’un véritable accompagnement psychothérapeutique, ainsi qu’une « panique morale » née dans les années 1960 avait sonné le glas de leur usage à des fins médicales en France, expliquait en 2022 au Figaro l’historienne Zoë Dubus.

Le vent semble donc en train de tourner. En mars dernier, des membres de l’Agence européenne des médicaments (EMA), du groupe de travail sur le système nerveux central de l’EMA et du Collège européen de neuropsychopharmacologie (ECNP) ont même lancé dans The Lancet un appel à conduire des « recherches supplémentaires sur le potentiel thérapeutique des psychédéliques contre les troubles mentaux ». Les psychédéliques seront-ils un jour un traitement psychiatrique de routine ?

*Le CHU de Nîmes recherche des patients volontaires pour l’étude PAD . Si vous souhaitez participer et faire avancer la recherche, vous pouvez contacter par mail, l’attachée de recherche clinique, Julie Hemart (julie.hemart@chu-nimes.fr), ou le médecin investigateur, Amandine Luquiens (amandine.luquiens@chu-nimes.fr).