Seule (petite) surprise d’un remaniement ministériel sans panache, l’arrivée de Nicole Belloubet rue de Grenelle a focalisé l’attention des oppositions de droite, faute d’autre «poids lourd» politique sur qui tomber à bras raccourcis. «L’une des ministres de la Justice les plus laxistes de la Vème République», a ainsi tancé Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, sur X (ex Twitter). «Barre à gauche avec Belloubet», a renchéri le président du parti Éric Ciotti . «Abandon de Mila menacée par la meute islamiste, laxisme, culture de l’excuse» inventorie le président du RN Jordan Bardella, regrettant «un signal désastreux».
Il faut dire que la successeuse d’Amélie Oudéa-Castéra au portefeuille de l’Éducation nationale, censée mettre fin au concert de casseroles déclenché par sa collègue désormais uniquement en charge des sports et des jeux olympiques, dénote avec la promesse d’autorité formulée par le président de la République et son premier ministre.
Celle qui hérite de l’objectif de «réarmement civique» souhaité par Emmanuel Macron lors de ses vœux a notamment, dans une tribune en 2016 intitulée… «Faut-il supprimer le ministère de l’Éducation nationale ?» (ça ne s’invente pas), étrillé les «fariboles» sur «la restauration de l’autorité ou le port de la blouse». Huit ans plus tard, c’est donc elle qui supervisera l’expérimentation du port de l’uniforme à l’école, avant son éventuelle généralisation à la rentrée de septembre.
Mais c’est aussi le passé gouvernemental de Nicole Belloubet qui suscite la controverse. Ministre de la Justice de juin 2017 à juillet 2020 (elle fut nommée en urgence pour remplacer François Bayrou lors de sa mise en examen dans l’affaire des assistants parlementaires du Modem, affaire pour laquelle il a été relaxé en première instance en attendant le jugement en appel), Nicole Belloubet n’a pas connu trois années tranquilles place Vendôme – tant s’en faut.
Dès janvier 2018, quelques mois après sa nomination, Nicole Belloubet a essuyé la plus importante crise pénitentiaire des dernières décennies. Un baptême du feu. Le personnel du système carcéral s’est mis en grève après une multiplication des agressions au sein des prisons, et la mobilisation des surveillants et des officiers de la Pénitentiaire était telle que ce sont les forces chargées du maintien de l’ordre qui ont dû être mobilisées dans sept établissements pénitentiaires.
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La sortie de crise a été négociée avec les syndicats, notamment grâce à la promesse d’une hausse des indemnités et de l’embauche de personnels supplémentaires. Mais le cœur de la tension sécuritaire au sein des prisons résidait d’abord dans la surpopulation carcérale, un phénomène connu du candidat Emmanuel Macron qui avait promis la création de 15.000 places de prison supplémentaires. Lorsque Nicole Belloubet était ministre, cette promesse s’est vite dégonflée : en définitive, ce sont seulement 7000 places supplémentaires qui ont été décidées.
Après le déclenchement de l’affaire Benalla à l’été 2018, une commission d’enquête au Sénat menée par Philippe Bas a cherché à faire la lumière sur les éventuelles fautes politiques qui ont pu être commises. Provoquant la colère de Nicole Belloubet, qui a affirmé dans une tribune au Monde qu’au nom de la séparation des pouvoirs, une commission d’enquête parlementaire ne peut pas viser ce qui touche le président de la République ni concerner une enquête judiciaire en cours.
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Une intervention médiatique qui a été démentie par plusieurs professeurs de droit public, comme Paul Cassia, qui estime au contraire que cette séparation des pouvoirs permet justement au Sénat d’enquêter tant que l’objet de son enquête ne concerne pas les faits ayant donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire.
Au lendemain d’une série de manifestations contre «le racisme et les violences policières» à l’appel de plusieurs collectifs en soutien à Adama Traoré, un jeune Noir tué par la police en tentant de fuir un contrôle (un non-lieu contre les policiers a été rendu en 2023), on apprenait que le président de la République avait demandé à la garde des Sceaux Nicole Belloubet de se pencher sur le dossier d’Adama Traoré.
Si l’entourage de la ministre a affirmé qu’il lui a seulement été indiqué de veiller au «bon fonctionnement de la justice», les critiques ont été nombreuses. À commencer par celle de l’avocat de la famille d’Adama Traoré : «Je vous demande de respecter la séparation des pouvoirs. La loi interdit à la garde des Sceaux d’intervenir dans des affaires individuelles», a condamné sur Twitter Yassine Bouzrou, obligeant le gouvernement à rétropédaler.
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Non contente de remettre en cause le principe de séparation des pouvoirs alors qu’une enquête est en cours, la ministre a donc en plus été ridiculisée par la partie qu’elle entendait contenter. La séquence a été étrillée par la droite, qui y a vu, dans les propos de Bruno Retailleau, une preuve de la «lâcheté» du gouvernement face à «une famille qui méprise ouvertement la main si imprudemment tendue».
Drôle de rentrée politique pour Nicole Belloubet en janvier 2020. En l’espace de quelques semaines, c’est la deuxième fois que la garde des Sceaux s’est immiscée dans une affaire judiciaire en cours. Après avoir pris position, courant janvier, dans l’affaire Halimi dans laquelle elle a invoqué l’État de droit pour justifier l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, elle s’est ensuite pris de nouveau les pieds dans le tapis, cette fois au sujet de Mila, une jeune fille ayant reçu des menaces de mort pour avoir copieusement critiqué l’islam. «L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave, mais ça n’a pas à voir avec la menace», a-t-elle déclaré sur Europe 1.
De quoi faire réagir les politiques en cascade qui, à droite comme à gauche, lui ont reproché des atteintes «aux droits et aux valeurs de la République», et l’ont accusée de favoriser «le rétablissement du délit de blasphème».
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Richard Malka, l’avocat de Mila, a prié depuis dans les médias la ministre de la Justice, pourtant professeure de droit, de réviser ses fondamentaux : «depuis 1789, et d’autant plus depuis la loi sur la presse de 1881, la liberté d’expression donne le droit de critiquer les religions, sinon ses adeptes. Nous ne sommes pas au Pakistan où le blasphème est condamné par l’article 95-C du Code pénal».
En mars 2020, Nicole Belloubet a pris plusieurs mesures pour réduire la population carcérale au début de la crise sanitaire déclenchée par l’épidémie de Covid-19. Elle a ainsi annoncé avoir… incité à la libération de «plusieurs milliers» de détenus, notamment ceux en fin de peine, et a demandé à reporter l’exécution des courtes peines.
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« La régulation de l’occupation des maisons d’arrêt constitue (…) une priorité pendant cette période. Ces mesures sont d’ores et déjà suivies d’effet. On comptabilise ces derniers jours une trentaine d’entrées en prison quotidiennes contre plus de 200 habituellement » s’est-elle notamment félicitée dans un communiqué.