D’anciens virus ayant infecté des vertébrés il y a des centaines de millions d’années ont joué un rôle crucial dans l’évolution de nos cerveaux avancés et de nos grands corps, selon une nouvelle étude.

Ces travaux, publiés jeudi dans la revue Cell, examinent les origines de la myéline, une membrane grasse isolante qui se forme autour des nerfs et permet aux impulsions électriques d’être diffusées plus rapidement.

Selon les auteurs, une séquence génétique acquise à partir de rétrovirus – des virus qui envahissent l’ADN de leur hôte – est cruciale pour la production de myéline. Et ce code se retrouve aujourd’hui chez les mammifères modernes, les amphibiens et les poissons. «Ce que je trouve le plus remarquable, c’est que toute cette diversité de vertébrés modernes connus, et la taille qu’ils ont atteint – éléphants, girafes, anacondas … – n’aurait pas eu lieu» sans l’infection de ces rétrovirus, a déclaré à l’AFP le neuroscientifique Robin Franklin, co-auteur de l’étude.

Les chercheurs ont fouillé dans des bases de données de génomes pour tenter de découvrir les facteurs génétiques associés à la production de myéline. Tanay Ghosh, biologiste et généticien travaillant avec M. Franklin, était particulièrement intéressé par les mystérieuses régions «non codantes» du génome, qui n’ont aucune fonction apparente et étaient à un moment donné considérées comme inutiles, mais qui sont désormais reconnues comme ayant une importance dans l’évolution.

Ses recherches ont abouti à une séquence dérivée d’un rétrovirus, qui se trouve depuis longtemps dans nos gènes, et que les chercheurs ont baptisé «RetroMyelin». Pour vérifier leur découverte, ils ont mené des expériences consistant à supprimer cette séquence chez les rats, et ont observé que ceux-ci ne produisaient alors effectivement plus une protéine nécessaire à la formation de myéline.

Les scientifiques ont ensuite cherché des séquences similaires dans le génome d’autres espèces, et ont trouvé un code semblable chez les vertébrés à mâchoire – mammifères, oiseaux, poissons, reptiles et amphibiens – mais pas chez les vertébrés sans mâchoire ou chez les invertébrés. Ils en ont conclu que la séquence est apparue dans l’arbre de la vie à peu près en même temps que les mâchoires, c’est-à-dire il y a environ 360 millions d’années.

L’étude a été qualifiée d’«éclairage fascinant» sur l’histoire de nos ancêtres à mâchoires par Brad Zuchero, de l’université Stanford, qui n’a pas participé aux travaux. «Il y a toujours eu une pression de sélection pour faire en sorte que les fibres nerveuses conduisent les impulsions électriques plus rapidement», a souligné Robin Franklin. «En faisant ça plus vite, alors vous pouvez agir plus vite», a-t-il expliqué, ce qui est utile pour les prédateurs chassant une proie, ou une proie tentant de fuir.

La myéline permet une conduction rapide de ces signaux sans accroître le diamètre des cellules nerveuses, en leur permettant d’être rapprochées les unes des autres. Elle fournit également un soutien structurel, ce qui signifie que les nerfs peuvent grandir davantage, permettant le développement de membres plus grands. En l’absence de myéline, les invertébrés ont trouvé d’autres manières de transmettre rapidement les signaux électriques: les calamars géants, par exemple, sont équipés de cellules nerveuses plus grandes.

Enfin, l’équipe de chercheurs a voulu comprendre si l’infection virale s’était produite une fois, chez une espèce unique ancestrale, ou plusieurs fois. Pour répondre à cette question, ils ont analysé les séquences RetroMyelin de 22 espèces de vertébrés à mâchoire. Ces séquences étaient davantage semblables au sein d’une espèce, qu’entre différentes espèces. Cela suggère que de multiples vagues d’infection sont survenues, ayant participé à la diversité d’espèces de vertébrés connue aujourd’hui, selon les chercheurs.

«On a tendance à penser aux virus comme à des pathogènes, des agents causant des maladies», a relevé Robin Franklin. Mais la réalité est plus compliquée, selon lui: à différents moments de l’histoire, les rétrovirus sont entrés dans le génome et se sont intégrés aux cellules reproductives d’espèces, permettant qu’ils soient transmis aux générations suivantes. Un des exemples les plus connus est le placenta – caractéristique chez la plupart des mammifères – acquis à partir d’un pathogène intégré au génome il y a fort longtemps.

Pour Tanay Ghosh, cette découverte sur la myéline pourrait n’être qu’un premier pas dans un domaine émergent. «Il y a encore beaucoup de choses à comprendre à propos de la façon dont ces séquences influencent différents processus de l’évolution», a-t-il dit.