Ses mains affichent encore les stigmates de sa riche carrière de grimpeuse et d’alpiniste mais c’est à sa petite maison d’édition, qui souffle ses dix bougies, que Catherine Destivelle dédie principalement son énergie aujourd’hui. À 63 printemps, celle qui s’illustra à partir des années 80 dans de nombreux exploits, notamment une «trilogie» hivernale en solitaire sur la face nord de l’Eiger, aux Grandes Jorasses, puis au Cervin, grimpe désormais plus volontiers «avec des amis dans des endroits pas connus». Catherine Destivelle co-signe un épais album à sortir le 12 octobre, Il était une fois l’escalade, une bande dessinée qui retrace l’histoire de la discipline tout en promettant de «donner le vertige» à ses lecteurs. Le livre, co-édité par sa maison, les éditions du Mont-Blanc et par les Arènes, était présenté lors du salon de l’escalade qui se tenait vendredi et samedi à Grenoble.

À lire aussi1992 : Catherine Destivelle dans la face nord de l’Eiger

Imprimé en gros tirage, il vient surfer sur la popularité de la grimpe. On estime à désormais quelque 2 millions le nombre de pratiquants en France, et l’industrie spécialisée dans la fabrication de mousquetons, cordes, vêtements et d’équipements pour les salles est en plein essor. Dans les années 70, «quand j’ai commencé, il n’y avait pas de chaussons (d’escalade) à ma taille. Ça a vraiment changé. Il y avait peu de femmes et l’escalade était confidentielle», se souvient la championne dont la carrière a été récompensée en 2020 par une prestigieuse distinction, le Piolet d’or. «Je suis épatée par cet engouement et je trouve ça super», se félicite-t-elle. «Ça fait beaucoup de bien aux gens, c’est ludique (…) On oublie le quotidien, ça vide la tête, c’est super agréable. Et c’est un sport qui fait bouger tout le corps».

C’est en 2013 que Catherine Destivelle, après avoir déjà écrit plusieurs livres comme «Danseuse de roc» ou «Rock queen», décide de lancer sa propre maison d’édition, au pied du géant du même nom près de Chamonix. Avec pour ligne éditoriale l’escalade et la montagne, abordées notamment sous l’angle historique, un créneau qu’elle qualifie de «niche». «L’idée est de faire découvrir et de mettre le doigt sur ce qui anime un alpiniste ou un grimpeur. Il faut que ce soit bien raconté et que ça inspire», explique-t-elle. «Et ce n’est pas facile, l’édition, quel que soit le secteur», souligne encore la patronne-aventurière, se disant «à flot» mais admettant compléter ses revenus en donnant régulièrement des conférences en entreprises. «Je suis indépendante, après c’est de la passion et beaucoup de travail. Je ne savais pas que j’étais capable de travailler autant derrière un bureau !», s’amuse-t-elle. Quelque 120 titres ont vu le jour en dix ans, allant des livres jeunesse aux récits, manuels d’escalade et beaux livres, en passant par des thrillers avec des titres évocateurs comme 100.000 dollars pour l’Everest dans la collection dite Mont-Blanc Noir.

Aux premières loges pour observer la fonte «dramatique» des glaciers alentour, elle préfère pourtant ne pas traiter directement du thème du réchauffement climatique dans ses collections. «Je n’ai pas les auteurs pour ça et je ne sais pas comment l’aborder. Plein d’éditeurs le font, je reste dans ma niche», explique-t-elle. Elle se dit en outre soucieuse de ne pas «plomber» des jeunes déjà «très inquiets». «En revanche, je leur dis “ne laissez aucune trace en montagne, pas un papier, pas de feu”». Elle salue au passage l’éthique des nouvelles générations d’alpinistes qui s’efforcent «d’avoir le moins d’impact possible et réduisent leur empreinte carbone au maximum». Elle n’est pas tendre en revanche pour ceux qui, sous l’œil des médias, enchaînent les records de vitesse sur les plus hauts sommets de l’Himalaya en recourant à l’hélicoptère et à des cordes fixes pour faciliter leur ascension, une hérésie pour les puristes. «C’est une belle performance mais ce n’est pas de l’alpinisme», conclut-elle avec un brin de colère.