C’est une Assemblée générale scrutée de près qui s’est tenue ce mardi après-midi à Amsterdam, aux Pays-Bas. Au cœur des crispations, la rémunération du patron, Carlos Tavares, sur l’exercice 2023 de Stellantis. Si aucune allusion n’a été faite à ce sujet durant la réunion, le directeur général du quatrième groupe automobile mondial va recevoir 36,5 millions d’euros, dont une prime de 10 millions d’euros pour la «transformation» du groupe créé en 2021 après la fusion de PSA et Fiat Chrysler. Cette somme intègre également des pensions de retraite versées sur le long terme et un bonus s’il atteint des objectifs fixés pour 2025, dernière année de son mandat actuel à la tête du constructeur.

Lors de cette Assemblée générale, les actionnaires du groupe ont voté à 70% en faveur du versement de cette rémunération, soutenant la position de Carlos Tavares. Ce taux reste toutefois inférieur à celui de l’an dernier, établi alors à 80%. Un mauvais signal pour l’entreprise. L’homme d’affaires va ainsi recevoir directement 23,5 millions d’euros, composés principalement d’actions. Lundi, lors d’un déplacement à l’usine de Trémery, en Moselle, le patron de Stellantis a assumé ces montants, se comparant même à «un joueur de foot et un pilote de Formule 1». «Si vous estimez que ce n’est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi et je la respecterai», a-t-il lancé au micro de France Bleu Lorraine Nord.

En réalité, le vote des actionnaires ce mardi était uniquement consultatif, car le siège étant basé à Amsterdam, c’est le droit néerlandais qui s’applique. Mais Carlos Tavares avait convenu lundi «qu’il réagirait de manière démocratique au vote des actionnaires». Le patron de Stellantis n’a fait aucun commentaire à ce propos lors de l’Assemblée générale annuelle.

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Plusieurs cabinets de conseils s’étaient pourtant dressés contre cette somme jugée excessive. C’est notamment le cas du cabinet américain de conseil aux investisseurs Glass Lewis, qui avait émis de «sérieuses réserves». Idem pour Proxinvest, pointant «une rémunération trop élevée en comparaison des sociétés du même secteur», lançait lundi Charles Pinel, directeur général de l’agence de conseil, sur BFM Business. S’il souligne «des résultats étincelants» du groupe, il appelle le patron de Stellantis «à faire attention» : «Vous êtes responsable de la cohésion au sein de votre société et même un peu plus largement de la cohésion du système capitaliste».

De son côté, l’État actionnaire avait déjà précisé sa position. Fin mars, le directeur de la banque publique d’investissement, Nicolas Dufourcq, avait indiqué qu’il «s’abstiendrait sur ces questions de rémunération». «On est arrivé à des niveaux qui sont effectivement à l’américaine, pour un groupe qui est essentiellement américain, mais qui peuvent en effet ne pas être tout à fait compris en Europe», commentait-il.

Cela fait déjà plusieurs années que la rémunération de l’ingénieur fait débat. En 2016, Manuel Valls, alors premier ministre, avait critiqué le doublement du salaire de l’ancien patron de PSA -Peugeot Citroën. «C’est un salaire qui ne correspond pas à la réalité», pointait-il. En 2014, Carlos Tavares avait reçu 2,75 millions d’euros puis 5,24 millions d’euros en 2015, soit sept fois moins que sa rémunération actuelle sur l’exercice 2023. La polémique n’a, depuis, qu’amplifié, suivant la courbe de son salaire. En 2022, Emmanuel Macron avait jugé «choquant et excessif» le montant «astronomique» de sa rétribution. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, avait plaidé «qu’au niveau européen, il faut envisager des systèmes de plafonnement». Pour autant, les actionnaires avaient voté favorablement au versement de sa rémunération, à près de 80%.

De son côté, la CGT de Stellantis dénonce un salaire «totalement choquant et scandaleux», avec «une augmentation de près de 50%, quand la plupart d’entre nous ont eu seulement 3,7% et galèrent pour finir le mois». Même constat pour la CFDT, qui cible «l’écart croissant de rémunération entre les salariés et les dirigeants». «On aurait aimé des hausses de salaire plus élevées, en regard de l’inflation», soupire au Figaro Sébastien Sidoli, délégué syndical central de la CFDT. Jean-Pierre Mercier, délégué SUD de Stellantis, se montrait plus véhément ce mardi sur BFM Business : «On est écœurés et révoltés». S’il déplore des milliers de licenciements, notamment en Italie, il rappelle que ce sont les salariés «qui ont fabriqué ces millions d’euros». Le 15 février, Stellantis avait dévoilé un nouveau bénéfice record de 18,6 milliards d’euros pour 2023, en hausse de 11% sur un an, avec un chiffre d’affaires proche des 190 milliards d’euros. Afin de calmer les ardeurs des salariés, le groupe avait annoncé une redistribution de près de 1,9 milliard d’euros à ses salariés dans le monde, représentant un minimum de 4100 euros pour les plus bas salaires en France.

En plus de ce dossier houleux s’ajoutent également des interrogations à propos du rôle de John Elkann, héritier de la famille Agnelli, dont la holding Exor est actionnaire majoritaire de Stellantis, à 14,2%. Aujourd’hui président exécutif du groupe, le salaire du dirigeant italien s’élève à 4,8 millions en 2023. «Quand vous avez un directeur général, vous devez avoir un président non-exécutif et ne pas le rémunérer autant», souligne sur BFMTV Denis Branche, cofondateur de Phitrust.