L’occasion fait le larron. Les géants chinois du commerce en ligne le savent pertinemment. Ces fins limiers des flous juridiques n’ont pas hésité à s’engouffrer dans la brèche ouverte par une vieille loi américaine datant de 1930. Contrôles allégés et abattements des droits de douane pour les colis de faible valeur sont devenus la poule aux œufs d’or d’entreprises exportatrices comme Shein et Temu. Connue sous le nom de «règle de minimis», cette loi exempte de droits de douane les importations de moins de 800 dollars, si les destinataires sont des consommateurs individuels. Un seuil largement inférieur à la très grande majorité des commandes passées sur les sites chinois. Si bien que cette année, plus d’un milliard de colis seraient entrés aux États-Unis via ce régime spécial : un record quasi deux fois supérieur à celui de 2019, selon les estimations des douanes américaines.

Au point qu’Outre-Atlantique, des parlementaires chaudement remontés ont déposé en juin dernier deux projets de loi – à la Chambre des représentants et au Sénat – pour mettre un terme à ce qu’ils considèrent comme un vide juridique. Pointée du doigt avec véhémence, la mesure est accusée de permettre aux entreprises chinoises d’inonder le marché américain de leurs produits, potentiellement contrefaits, dangereux ou illégaux. Critiques reprises avec ferveur par des industriels américains. «La règle de minimis, c’est le plus grand marché noir du monde, avec, étonnamment, la bénédiction du gouvernement américain», a fustigé Kim Glas dans les colonnes du Wall Street Journal. Pour celle qui dirige la Commission d’examen de l’économie et de la sécurité entre les États-Unis et la Chine et le Conseil national des entreprises textiles, «c’est devenu totalement incontrôlable».

Si des industriels étaient également montés au créneau, d’autres, comme le PDG de Seko Logistics, Brian Bourke, ont fustigé cette soudaine levée de boucliers. Pour lui, les initiatives législatives vont «à contre-courant de la politique douanière américaine» de ces dernières années, qui cherchait davantage à assouplir les restrictions commerciales. En 2016, les députés avaient en effet relevé le seuil d’exonération de taxes douanières de 200 à 800 dollars. Mesure prise alors dans un souci d’allègement de la charge de travail des douaniers en plein boom de l’e-commerce. Pour Brian Bourke, les préoccupations légitimes concernant les produits contrefaits, les problèmes de santé et de sécurité des consommateurs, les obstacles au commerce ne constituent pas une réponse adéquate.

Pourtant, en 2019, la Commission de sécurité des produits de consommation avait signalé toutes les difficultés qu’elle avait pour détecter les importations dangereuses. Elle était alors déjà débordée par les quelque 410,5 millions de colis importés en 2018. Les douanes américaines en dénombraient 685,5 millions en 2022. Un problème tout nouveau permis par une loi de 1930, qui exonérait alors les touristes américains de taxes sur leurs petits achats à l’étranger.

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Parallèlement à cette explosion du nombre de colis bénéficiant de la règle de minimis, le nombre d’utilisateurs mensuels actifs des plateformes chinoises d’e-commerce grimpe en flèche. Entre 2021 et le troisième trimestre 2023, celui de Shein a été multiplié par deux pour atteindre 30,2 millions, selon les estimations du cabinet d’études de marché Sensor Tower. Inarrêtable, celui de Tenu a dépassé celui de son concurrent en une seule année d’activité. Des résultats que les deux entreprises attribuent à la qualité de leur chaîne logistique, sans aucun lien avec la règle des minimis.