Correspondant à Berlin

Ce samedi 14 avril 2023, le mouvement antinucléaire va savourer son «grand succès», selon la propre expression de l’ONG Greenpeace: les trois dernières centrales allemandes d’Isar, Emsland et Neckarwestheim III seront définitivement débranchées du réseau, mettant fin, outre-Rhin, à des décennies d’utilisation de l’atome. La fête sera célébrée devant la porte de Brandebourg autour d’une statue de dinosaure conçue par un sculpteur de Düsseldorf. L’animal préhistorique, symbolisant la caducité des réacteurs, sera entouré de fûts de déchets et surmonté d’un «soleil antinucléaire en position de vainqueur», annonce fièrement Greenpeace.

Hormis ces quelques célébrations, c’est sans tambours ni trompettes que Berlin met officiellement fin à cette source d’énergie, assurant dans un communiqué publié jeudi, que «la grande disponibilité de l’approvisionnement énergétique reste assurée en Allemagne». Le processus d’extinction fut néanmoins émaillé de multiples incidents. En pleine crise d’approvisionnement gazière générée par la guerre en Ukraine, un délai d’activité supplémentaire de trois mois avait été accordé à ces trois centrales au-delà de la date initiale du 31 décembre 2022. C’est ce calendrier, lui-même fixé par son prédécesseur social-démocrate Gerhard Schröder, que la chancelière CDU Angela Merkel avait décidé de respecter, au lendemain de la catastrophe de Fukushima.

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La décision fut prise sans concertation avec Paris, «dans l’émotivité» jugea à l’époque Nicolas Sarkozy. Revenus au pouvoir en 2021, avec le SPD, les Verts ne pouvaient qu’entériner le virage de Merkel – quand bien même celui-ci déplût à Paris. Mais c’est finalement sous l’influence de la France, handicapée par les défaillances de ses réacteurs, qu’Olaf Scholz accorda, dans la douleur, un ultime délai de grâce à l’industrie. «À cause de la guerre de Poutine et du désastre de l’industrie nucléaire française, toute l’Europe doit produire comme une folle pour alimenter la France», dénonça en octobre dernier Jurgen Trittin, l’ancien ministre Grünen de l’Environnement et artisan historique de la sortie de l’atome.

Aujourd’hui, le gouvernement referme en toute discrétion cette parenthèse, qui a mis à l’épreuve l’unité de la coalition. La décision va à rebours d’une grande partie de l’opinion publique et des pratiques européennes. Au sein de l’UE, «l’énergie nucléaire semble offrir une alternative de nouveau crédible», constate la Fondation Robert Schuman, notant qu’une dizaine de pays, dont six d’Europe centrale entament la construction de nouvelles centrales. En Pologne, un premier réacteur situé à 300 kilomètres de la frontière allemande, devrait entrer en service en 2033. Selon un sondage You Gov, publié par l’agence de presse DPA, 65 % des Allemands se montrent également favorables à une poursuite de l’exploitation, sans néanmoins remettre en cause le principe de l’abandon.

Selon d’autres enquêtes d’opinion, les préoccupations liées à la  «sécurité énergétique» surpassent désormais au sein de la population les impératifs de «protection de l’environnement». «Nous sommes toujours en période de guerre, ce qui a des conséquences importantes sur l’approvisionnement et nous commande d’être prudents », appuie le député FDP, Konrad Stockmeier, porte-parole sur les questions énergétiques. Ce parti membre de la coalition a milité en vain pour une prolongation de l’atome au-delà du 15 avril. Olaf Scholz aurait eu du mal à ignorer ce marqueur idéologique que constitue pour les Verts le rejet du nucléaire, également associé dans l’histoire de la récente République allemande, à la vigueur de la tradition pacifiste. Pour sa part, le ministre de l’Économie et du Climat Robert Habeck pense avoir surmonté l’hypothèque du gaz russe en mettant en service les premiers terminaux de GNL.

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Il assure que les réservoirs sont remplis à des niveaux élevés (64,5 %). Les trois derniers réacteurs n’assuraient que 6 % de la production énergétique (33 % pour le charbon actuellement). Berlin s’accroche désormais à son objectif de décarboner son économie d’ici à 2045, via un recours massif aux renouvelables. «Désormais, nous n’avons pas d’autre choix», appuie Murielle Gagnebin, directrice du projet énergie européen de l’ONG Agora. Cette association se félicite d’assister à une «forte demande sociétale en faveur de la transition énergétique». En témoignent, explique-t-elle, une demande inégalée de pompes à chaleur et le quadruplement d’installations photovoltaïques dans les foyers. La route s’annonce néanmoins tortueuse. L’an dernier, la hausse de consommation de charbon – dont la fin est «idéalement» prévue en 2038 – a annulé en termes d’émissions de CO2 les bénéfices des économies d’énergie. Ces émissions ont stagné à 761 millions de tonnes.