Une caisse enregistreuse, des vélos, un coffre-fort, des myriades de sacs plastique… Voici un échantillon de ce que l’on trouve dans la plus confortable décharge du monde: la mer. C’est ce qui a été remonté ce jour-là par une équipe des Nettoyeurs subquatiques (NSA), équipée de palmes, masque et bouteilles de plongée. Créée il y a quatre ans par Olivier Linardon, sous le logotype d’un poulpe dont le filet et le trident tenus à bout de tentacules donnent des allures de gladiateur, cette association, installée à La Teste-de-Buch, ambitionne de faire le ménage dans les fonds opaques du bassin d’Arcachon et des lacs alentour. «Nous étions trente-deux à la création, raconte le président, nous sommes cent quatre aujourd’hui et refusons du monde, faute de créneaux dans la piscine d’entraînement. Nous sommes aidés par des dizaines de bénévoles en bateau et à terre qui nous aident à remonter et trier les déchets.»
Ces opérations ne s’improvisent pas. «Elles sont organisées avec les mairies, les gendarmeries, le bureau des affaires maritime ou les Voies navigables de France (VNF)», explique Olivier Linardon. Par ailleurs, récupérer des déchets sous l’eau répond à des règles strictes. Par exemple, il est interdit de tirer des filets de pêche errants. Le risque de s’emberlificoter est trop important. Ils sont donc signalés et tirés depuis un bateau. Interdiction aussi de retirer des objets que la faune sous-marine aurait adoptés depuis longtemps. Ces règles sont rappelées par un guide du ramassage des déchets, élaboré par l’association The SeaCleaners, basée à La Trinité, et par la Fédération française d’études et de sports sous-marins (FFESSM).
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«Balbutiante il y a environ vingt ans, la pratique s’est bien répandue sur le littoral ces dernières années, soit au sein de clubs déjà constitués, soit de jeunes associations, constate Vincent Maran, membre de la branche biodiversité de la FFESSM. Il était nécessaire de créer un guide en réponse à cet engouement qui révèle une belle évolution des mentalités.» Les plongeurs de The SeaCleaners n’hésitent pas à venir aider leurs confrères d’autres départements. En 2023, dans le port de Saint-Malo, ils ont relevé 432 kg de déchets. «Dont 192 kg de plastique, soupire Julie Lasserre, chargée de sensibilisation de l’association, mais aussi beaucoup de matériel ostréicole, de téléphones et même une machine à laver! Les ports sont les endroits où les gens jettent le plus.»
Un constat partagé du côté de la mer Méditerranée par les quarante et un membres de l’association Bleu Gorgone, créée au lendemain du confinement par Thomas Poméro et ses amis. «L’idée ne faisait pas l’unanimité dans nos clubs de plongée. Certains trouvaient que ça n’était pas à eux de faire ce travail, se rappelle-t-il. Nous avons donc monté notre structure.» Ils ont ainsi gratté les fonds du port de Villefranche-sur-Mer, ou encore de Saint-Jean-Cap-Ferrat. «Depuis un peu plus d’un an, les mairies nous aident pour les formalités, et les ports nous facilitent la tâche, surtout lorsqu’ils sont en quête du label Ports propres», salue le plongeur. En quatre ans, ils ont remonté 82 m3 de déchets, parmi lesquels des objets aussi inattendus qu’un bocal de résine de cannabis, un sex-toy, «et même un dentier», s’étonne Thomas Poméro. Ils tombent également sur des surprises de la Seconde Guerre mondiale: explosifs, munitions ou grenades au phosphore… Ils passent alors la main aux plongeurs démineurs de l’armée.
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Lors de leurs opérations, ils peuvent compter sur les apnéistes du club des Mordus Spreadfishing. Cette autre association régionale, également férue de chasse sous-marine, organise aussi ses propres nettoyages. Elle rassemble entre dix et vingt-cinq apnéistes. «Nous nous partageons l’espace avec nos amis à bulles qui plongent plus profond», explique Louis Troquer, président passionné. «Pratiquant la chasse, dont nous respectons les règles, nous sommes très attachés à l’environnement. Ramasser des déchets nous passionne tout autant et redore notre image auprès des “anti-pêche” qui nous connaissent mal», ajoute-t-il. En outre, les allées et venues dans les profondeurs durant plusieurs heures s’avèrent être d’excellents exercices pulmonaires.
Pour aider leurs associations, les plongeurs démarchent les commerces alentour. Ils récoltent des repas et quelques menues finances. «Nos opérations intéressent beaucoup les jeunes», constate Louis Troquer, dont le fils a trouvé là un beau sujet d’exposé à faire en classe. Elles permettent aussi de quantifier, d’analyser les déchets et d’en tirer des conclusions sur leurs origines. Les plongeurs espèrent qu’elles permettront un jour de les éliminer à la source, pour pouvoir, enfin, plonger en eaux claires.
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