«Le train de nuit Paris-Berlin, c’est une arnaque !» Julien voulait visiter en juin la capitale allemande, avec cette promesse alléchante : un départ de Paris à 19 heures et un réveil à Berlin le lendemain matin. Mais depuis des mois qu’il guette la mise en vente des billets, rien. Impossible de réserver des trajets à moins de deux mois du départ. «Ils veulent convaincre les gens de ne pas prendre l’avion, dont les billets, déjà moins chers, sont en plus vendus bien plus longtemps en avance…» fulmine le Parisien, qui a finalement décidé de prendre deux longs trains en journée, ce qui lui impose une nuit à l’hôtel à Francfort sur le trajet. «C’est beaucoup plus cher mais au moins, c’est plus sûr.»

Ce train de nuit avait pourtant été relancé en grande pompe par le gouvernement en décembre dernier. Trois allers-retours par semaine dans un premier temps, avant une liaison quotidienne en octobre, pour ce Nightjet opéré par la compagnie nationale autrichienne ÖBB – la seule à avoir continué de développer le train de nuit quand les autres pays fermaient leurs lignes – en coopération avec la SNCF, la Deutsche Bahn et la SNCB. «Une façon de faire aimer le train et changer nos modes de déplacement, vantait l’ancien ministre des Transports Clément Beaune lors du voyage inaugural. Un symbole positif, écologique et européen.» Mais entre les trains supprimés, les retards et les billets mis en vente aléatoirement : quatre mois plus tard, le symbole déraille.

Après l’euphorie du lancement, les déboires se sont accumulés dès le début de l’année. Début janvier, des passagers ont vécu une nuit cauchemardesque, avec des places supprimées sans préavis, forcés de voyager debout face à une prise en charge catastrophique de la compagnie. Le temps du rodage, sûrement. Puis il y a eu – pas de chance – les grèves en France et en Allemagne, qui ont perturbé les circulations ferroviaires. Le déraillement d’un train de fret dans le Grand Est a ensuite bloqué les voies.

Très peu de trains ont circulé en février, reconnaissait à l’époque ÖBB, sans communiquer précisément sur les statistiques de ponctualité de cette ligne. Sans compter qu’un aller-retour sur les trois hebdomadaires a été supprimé pendant trois semaines jusqu’à début mars en raison de travaux en Allemagne.

Désormais, c’est pour l’été que ça coince. Aucun billet n’est en vente après le 18 mai, et aucune des compagnies associées sur cette ligne ne semble en mesure d’expliquer ce qui bloque aux clients qui s’impatientent. «Nous attendons les détails de nos partenaires pour planifier les trains, répond ainsi ÖBB aux interrogations d’internautes sur le réseau social X. Nous ne pouvons pas dire quand ce sera le cas, merci de réessayer de temps en temps.»

Derrière cette réponse floue semble se dessiner le problème de fond qui mine ce trajet, comme les trains de nuit en général : les fermetures de lignes nocturnes pour travaux qui compliquent l’exploitation. La SNCF pointe notamment, outre les grèves et les incidents matériels, des «travaux non anticipés sur les réseaux allemand et français» pour expliquer les difficultés rencontrées ces dernières semaines. «Les ventes de billets peuvent être ouvertes quand les plans de transport sont stabilisés», ajoute la compagnie française, qui assure elle aussi «travailler avec [ses] partenaires pour ouvrir prochainement les ventes d’été».

Entre le 11 mai et le 6 juillet, deux allers-retours hebdomadaires entre Paris et Berlin ne sont même plus mentionnés sur l’outil de planification de trajets d’ÖBB. Seul reste l’aller-retour du week-end, départ le vendredi soir de Berlin et le samedi soir de Paris. La SNCF ne confirme pas, pour autant, qu’une réduction de la fréquence soit prévue sur la période : «Les ÖBB mettent en vente des trains au fur et à mesure, mais cela n’est pas synonyme de réduction de l’offre.» Elle assure que, sur cette période et bien qu’ils ne soient plus mentionnés sur les différents sites des compagnies associées, «les autres trains de la semaine seront mis en vente prochainement». Quant à la compagnie autrichienne ÖBB, elle renvoie vers la réponse de son homologue française.

Le Nightjet entre Paris et Vienne (Autriche), couplé au Paris-Berlin pour la première partie du trajet depuis la capitale française, rencontre des problèmes similaires pour cet été. Les billets ont été mis en vente début avril seulement pour mai et juin, mais pas pour tous les trains. Certains ne partiront d’ailleurs que de Strasbourg, au lieu de Paris, en raison de travaux. Et gare aux voyageurs qui achètent leur billet : une mention précise que «les horaires sont susceptibles de changer». Difficile, en l’état, de se projeter pour un voyage.

L’organisation des travaux nocturnes sur le réseau ferré est un vrai problème pour les trains de nuit. «Il y a vraiment des travaux partout et c’est assez mal coordonné, d’autant plus quand cela concerne plusieurs pays, confirme Nicolas Forien, du collectif Oui au train de nuit. Sans compter que ces trains parcourent de longues distances, augmentant leurs chances de voir une portion de leur trajet fermée.»

Ce casse-tête touche aussi les quelques lignes de nuit restantes en France, qui pâtissent de retards et d’annulations intempestives, malgré la volonté gouvernementale d’en relancer de nouvelles comme le Paris-Aurillac, revenu en décembre. La compagnie European Sleeper, qui voudrait lancer un train de nuit entre Amsterdam et Barcelone via la France, s’agaçait début avril dans Le Figaro de la planification «hallucinante» des travaux par SNCF Réseau et se disait prête à saisir l’Autorité de régulation des transports.

«Malgré ces couacs, les voyageurs sont au rendez-vous et il y a de bons taux de remplissage», souligne Nicolas Forien. Pour assurer sa rentabilité, l’État subventionne le Paris-Berlin à hauteur de 10 millions d’euros par an pour sa partie française. Le ministre des Transports Patrice Vergriete est-il satisfait du service offert aux voyageurs sur les premiers mois d’exploitation de cette ligne ? Son entourage n’a pas répondu à nos sollicitations sur le sujet.