Patrick Drahi s’efforce de rassurer. Pris dans le scandale de corruption touchant son ex-bras droit et plusieurs cadres d’Altice, le milliardaire et propriétaire du groupe – comprenant en France les activités de SFR et celle dans les médias de BFMTV ou encore RMC -, était attendu de pied ferme par les analystes crédit ce mardi. Lundi déjà, il s’était échiné de donner des gages aux investisseurs lors de la présentation des résultats trimestriels d’Altice International, entité où figure entre autres la division Altice Portugal au cœur d’une enquête des autorités portugaises révélée mi-juillet.
Cette enquête vise notamment Armando Pereira, le bras droit en affaires de Patrick Drahi depuis près 30 ans. Celui-ci fait l’objet de poursuites pour onze délits financiers présumés (corruption, fraude fiscale, faux et usage de faux, blanchiment…). La justice portugaise l’accuse lui et une poignée de cadres de l’entreprise de s’être enrichis en jouant les intermédiaires avec des sociétés créées par leurs propres soins et en surfacturant à Altice leurs prestations. Altice et le fisc portugais sont victimes d’un préjudice chiffré à plusieurs centaines de millions d’euros selon les estimations provisoires.
Lundi midi, Patrick Drahi avait déclaré : «Cette affaire a été un choc et une déception. Je me sens trahi (…) Si les suspicions du fisc se révèlent vraies, cela voudrait dire qu’un petit groupe d’individus a caché ses actions et profité de certaines de nos acquisitions au détriment d’Altice et de ma réputation». Renvoyant aux déclarations de la veille, le milliardaire s’est à nouveau attaché à se positionner en tant que victime, assurant qu’avec le gel d’une poignée de fournisseurs incriminés et la suspension ou le licenciement de certains salariés – dont Yossi Benchetrit, gendre de Pereira et ex-patron des achats Altice USA ou encore la directrice exécutive des contenus, acquisitions et partenariats d’Altice France, Tatiana Agova-Bregou-, l’affaire avait été prise au sérieux.
«Un examen complet et renforcement approfondi du processus d’approbation de tous les achats, paiements, bons de commande et processus connexes, les paiements, les bons de commande et les processus connexes», précisait Altice ce mardi. Huit fournisseurs ont notamment été incriminés, représentant 2% du flux d’achat d’Altice. Pour eux, 90% de l’activité a déjà été stoppée. L’impact de l’affaire en France semble donc faible à ce stade. Patrick Drahi a également donné plus d’informations sur le rôle d’Armando Pereira chez Altice France. Lundi, Drahi affirmait que Pereira n’était plus au capital du groupe depuis 2005 et que contrairement aux déclarations des syndicats il ne pas centralisait pas l’ensemble des achats du groupe. Ce mardi, le milliardaire a rappelé que Pereira a eu un «rôle clé» au sein de SFR entre 2017 et 2019 dans la partie opérationnelle. Il a aussi confirmé qu’en août 2022, le franco portugais s’était vu assigner une mission de conseil du nouveau patron de SFR, Mathieu Cocq.
Plus important, Drahi s’est évertué à rassurer ce mardi sur l’avenir d’Altice France, lesté d’une dette culminant à 24 milliards d’euros, dans le contexte inquiétant de la remontée brutale des taux d’intérêt. Patrick Drahi a notamment assuré son attachement à Altice France, dont il a assuré détenir, avec sa famille, l’intégralité du capital. Un groupe qu’il dit avoir bâti ces 30 dernières années en partant «de zéro» pour en faire le «premier opérateur du pays non détenu par l’État». Reste que les échéances de son groupe de dette s’élèvent au total à 24 milliards d’euros, dont 1,3 milliard à payer en 2026 et 1,6 milliard dès l’année prochaine. La priorité absolue est «le désendettement», a martelé Patrick Drahi. Dans l’un des slides de la présentation, Altice et son patron ont même emprunté à l’ex-patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi sa plus célèbre phrase lors du sauvetage de l’euro, jugeant que le groupe s’attaquerait à sa dette «Whatever it takes» («quoi qu’il en coûte»).
Le temps presse. Les analystes n’auront en effet guère été rassurés par les résultats de SFR. Au deuxième trimestre, les revenus du groupe ont décliné de 2,6% par rapport à l’an passé, dont 2,5% pour l’activité télécoms. Le résultat d’exploitation chute plus lourdement encore, avec une baisse de 5,7% sur un an pour l’ensemble d’Altice France à 1,022 milliard d’euros. L’activité «média» a elle vu son résultat d’exploitation s’effondrer de 16% sur un an.
Côté télécoms, si SFR profite de ses investissements dans la fibre pour recruter des abonnés fixes (avec 243.000 abonnés de plus depuis le début de l’année), les revenus du résidentiel continuent de chuter. Sur le mobile, le groupe a encore perdu 250.000 abonnés depuis le 31 décembre 2022. Alors que ses concurrents, eux, continuent de recruter depuis le début de l’année. «C’est effectivement compliqué mais tous les gens qui suivent bien le dossier s’y attendaient. Cette baisse ne peut pas se résorber en 1 ou 2 trimestres. On parle d un travail de 24 mois minimum», explique Benoit Soler, gérant de portefeuille High Yield chez Keren Finance.
Altice s’est de son côté engagé à ramener son ratio d’endettement à des niveaux plus acceptables à moyen terme , promesse déjà faite en 2021 et 2020. Patrick Drahi a cité plusieurs priorités dont la baisse des coûts internes, la vente éventuelle d’actifs non stratégiques ou encore le rachat de dette. Il y a quelques jours, Le Figaro révélait l’intérêt de plusieurs ténors de la place pour le pôle média d’Altice composé de BFMTV notamment. Un pôle pour lequel Patrick Drahi a confirmé avoir reçu des marques d’intérêt, même si celui-ci n’est à ses yeux pas «en vente».