Le tableau date de 1555. Il est l’un d’une douzaine de versions encore en circulation du Vénus et Adonis peint par le Titien et les membres de son atelier. Mise aux enchères en décembre dernier par Sotheby’s à Londres, l’œuvre ne s’est pourtant vendue que pour 9,5 millions de livres, une somme dérisoire pour une telle pièce d’un «vieux maître».
Depuis le Brexit, le Royaume-Uni a vu son marché de l’art fondre. En 2021, l’année où la sortie de l’Union européenne est entrée en vigueur, il a chuté à 11,3 milliards de dollars, obligeant le pays à céder sa deuxième place mondiale à la Chine, les États-Unis occupant la première marche du podium. Le pays a récupéré sa position en 2022 – avec 11,9 milliards de dollars de ventes, représentant 18 % du total – mais cela reste en deçà des 12,2 milliards de dollars réalisés en 2019.
Autre indicateur, entre 2018 et 2023, la valeur des ventes réalisées à Londres durant les enchères du printemps – lorsque les pièces les plus chères sont écoulées – a reculé de 39 %. La maison d’enchères Sotheby’s, qui appartient au milliardaire français Patrick Drahi, a de son côté attribué une baisse de 72 % de ses profits en 2022 aux tracas engendrés par la sortie de l’UE. Le tableau s’est encore assombri cet été avec l’annulation de deux foires de premier plan, Masterpiece London et Art
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«La libre circulation des biens a été abolie par le Brexit, rappelle Gregor Kleinknecht, un avocat spécialisé dans le marché de l’art transfrontalier. Les marchands d’art, les collectionneurs et les galeries qui veulent transporter une œuvre d’un pays européen vers le Royaume-Uni ou vice-versa doivent désormais remplir de nombreux formulaires de douane et s’acquitter de la TVA.» Outre les coûts supplémentaires engendrés, cela occasionne fréquemment des retards. «Nous avons eu plusieurs lots retenus durant deux à trois semaines à la frontière», indique Édouard Gouin, le cofondateur de la maison de shipping Convelio.
Si les grandes maisons d’enchères ont les reins assez solides pour absorber ces tracasseries, ce n’est pas le cas des sociétés de petite ou moyenne taille, comme la londonienne Roseberys, qui tient une trentaine de ventes par an. «Nous avons constaté une baisse des consignations en provenance de l’Europe depuis le Brexit, détaille Vicki Wonfor, codirectrice de la société. Cela concerne notamment les œuvres de moindre valeur qui sont désormais vendues dans leur pays d’origine.»
Les prix de vente ont également diminué, «pour compenser les frais supplémentaires à l’exportation», précise-t-elle. Alors que la firme faisait souvent des allers-retours vers la France ou l’Italie pour faire authentifier des pièces, elle a dû y renoncer en raison de la surcharge financière et bureaucratique.
Mais les transactions entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe ne représentent que 20 % des ventes sur le marché de l’art britannique. Le reste est constitué de pièces importées depuis le reste du monde. Or, ici aussi, le Brexit a fait des dégâts. «Avant la sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni servait de porte d’entrée pour l’art en provenance des pays extra-européens, car son taux de TVA, à 5 %, était le plus bas du continent, explique Gregor Kleinknecht. Ces œuvres pouvaient ensuite être réexportées vers un autre pays européen sans frais supplémentaires.»
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Ce rôle de pays de transit a désormais été repris par la France, dont le taux de TVA s’élève à 5,5 %. Paris semble en effet être en bonne posture pour ravir la couronne du Royaume-Uni. En 2022, les ventes réalisées sur le marché de l’art de l’Hexagone ont fortement progressé, pour atteindre 5 milliards de dollars, soit 7 % du total mondial. Les ventes aux enchères ont quant à elles crû de 50 %, comparées à 2020.
«Sotheby’s et Christie’s ont tous deux étendu leur présence à Paris, une nouvelle foire appelée Paris , organisée par Art Basel, a vu le jour l’année dernière, et le londonien Bonhams a racheté la maison aux enchères parisienne Cornette de Saint Cyr pour s’implanter sur le marché français», complète Édouard Gouin. Cette poussée pourrait toutefois être stoppée nette par l’application dès 2025 d’une directive européenne qui ferait passer le taux de TVA sur les importations d’art de 5,5 à 20 %.
La Suisse et Hongkong, qui ne font pas payer de taxes à l’importation sur les œuvres et les antiquités, ou New York, qui domine le marché mondial de l’art, en seraient alors les grands bénéficiaires.