Très critique depuis plusieurs années contre le transfert par Carrefour de nombreux magasins à des tiers, le syndicat CFDT, qui estime qu’il s’agit de «délocalisations locales» de dizaines de milliers d’emplois, est passé à la vitesse supérieure lundi, en assignant en justice le géant du CAC 40. Plus de 300 magasins et 23.000 salariés sortis des effectifs depuis 2017: depuis l’arrivée à la tête de Carrefour du PDG Alexandre Bompard, les organisations représentatives du personnel, dont la CFDT, n’ont eu de cesse de contester le passage d’un nombre significatif de magasins en franchise et en location-gérance.
Ces termes désignent la cession à des tiers de la gestion des points de vente. Pour Carrefour, qui revendique plus de 5.000 magasins en France, le mouvement permet de conserver sa part de marché commerciale tout en se libérant d’un certain nombre de dépenses, à commencer par les salaires. En outre, le franchisé s’approvisionne auprès de la centrale du groupe, plaçant Carrefour dans un rôle de grossiste. Mais cela n’est pas sans conséquence pour les salariés. Une fois que leur magasin a «basculé», ils ne sont plus employés par un grand groupe coté au CAC 40, longtemps fier d’être le premier employeur privé de France, mais par une plus petite structure, perdant au passage les avantages sociaux négociés au sein de Carrefour, évalués par la CFDT à 2000 euros par an.
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«Nous estimons que ce mode de gestion tel que pratiqué par Carrefour ne répond pas aux règles du droit et qu’elle a des conséquences très fortes pour les travailleurs», explique Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT Services. La branche services de la CFDT a donc décidé d’assigner le distributeur devant le tribunal judiciaire d’Evry, duquel dépend le siège du distributeur à Massy, en banlieue parisienne. Le distributeur défend cette politique en assurant qu’elle permet d’éviter les fermetures pour les magasins les moins rentables, relance l’activité et préserve l’emploi.
«L’activité est encore pire qu’avant», témoigne Pascal Junet, élu CGT au CSE du magasin Carrefour de Bercy 2 à Charenton-le-Pont en région parisienne, passé en location-gérance le 2 mai 2022. «Le chiffre d’affaires est en baisse perpétuelle et l’unique réponse est de dire que la masse salariale est trop importante». La CFDT, dubitative elle aussi, estime que les contrats passés avec les sociétés franchisées «ne permettent pas de dégager des résultats suffisants». «Le modèle imposé aux franchisés et locataires-gérants pèse in fine sur les salariés» qui deviennent la seule marge de manœuvre pour améliorer la rentabilité du magasin, estime Sylvain Macé.
Le syndicaliste rejoint l’analyse d’un ancien cadre du distributeur, Jérôme Coulombel, qui avait estimé dans un livre publié en septembre 2023 que le distributeur imposait aux franchisés et gérants des prix de gros ou des prestations externes trop élevés. Une «association des franchisés de Carrefour» a annoncé en janvier avoir assigné le distributeur devant le tribunal de Rennes, regrettant «le déséquilibre significatif entre les droits et les obligations de chaque partie». Pour Carrefour, l’argumentaire de Jérôme Coulombel est «contredit par l’attractivité» de la franchise. L’enseigne fait valoir en outre que «l’activité professionnelle» de Jérôme Coulombel «consiste, depuis son départ, à conseiller des franchisés pour qu’ils rallient des groupes concurrents».
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Un autre point hérisse les syndicats: que cette politique soit menée alors que Carrefour débourse des centaines de millions d’euros pour rémunérer ses actionnaires. Le distributeur, qui a annoncé pour 2023 un bénéfice net à 1,66 milliard d’euros pour 94,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, a versé 481 millions d’euros de dividendes en 2023, et dépensé 802 millions d’euros pour racheter ses actions.
Au delà du seul géant du CAC 40, la CFDT s’inquiète de voir l’ensemble de la grande distribution «se diriger vers un modèle qui est une forme de délocalisation locale , où on externalise les enjeux sociaux». Auchan a récemment dit vouloir se tourner vers davantage de franchise, modèle également plébiscité par Casino. Ce mouvement s’opère dans un contexte de fort dynamisme des enseignes de magasins indépendants, comme le leader E.Leclerc, Intermarché ou Système U, où chaque patron d’un ou quelques magasins est libre de sa politique sociale.