5 avril 1994. Le leader de Nirvana s’injecte une ultime dose d’héroïne avant de se tirer une balle dans la tête. 30 ans après sa disparition, tout a été écrit sur la musique de Kurt Cobain. Mais pas sur son look, ou plutôt son anti-look, créé à partir de vêtements de seconde main. Très vite, son image lui échappe, comme tant d’autres choses.

Retour en 1991. Le clip de Smells like teen spirit , rampe de lancement du deuxième album du trio, intitulé Nevermind , crève les écrans de télé. Kurt Cobain y arbore deux Tee-shirts de seconde main, l’un à manches longues, l’autre à manches courtes. «Il a grandi dans la pauvreté et les superpose pour masquer sa maigreur qui l’a longtemps complexé, alors qu’il était beau garçon», explique Charlotte Blum, autrice de Grunge, jeunesse éternelle aux éditions Epa.

Ces vêtements restent dans l’imaginaire collectif. Comme d’autres portés plus tard, entre lunettes mouche ou cardigan fatigué du show télévisé du MTV Unplugged, diffusé fin 1993. Vingt-six ans plus tard, en 2019, le fameux cardigan s’est vendu 334.000 dollars lors d’enchères. «C’était un anti-look, un peu déglingué, mais ce mec est un paradoxe, il y prêtait attention», confie Marc Dufaud, auteur du récent Le monde fabuleux de Kurt Cobain aux éditions du boulon.

Ce que confirme Charlotte Blum : «S’il y a une personne qui espérait percer, c’est Kurt Cobain. Il veut devenir rock-star, pas pour être riche mais pour ne plus manquer d’argent». Pour le tournage de Smells like teen spirit, le groupe recrute des figurants par le biais d’un flyer – internet n’existe pas – en insistant : «Aucun vêtement avec des marques ou des logos s’il vous plaît».

Mais le succès emporte tout. Le grunge devient une marque et Cobain sa silhouette, à son corps défendant. «Malheureusement, ça ne se maîtrise pas quand tu deviens un phénomène, une icône», souligne Charlotte Blum. «Cobain voulait devenir une star mais il a été dépassé alors qu’il espérait faire les choses graduellement, comme il l’entendait. Là, ce n’est pas juste un album qui marche, ça définit un genre», prolonge Marc Dufaud.

Marc Jacobs, grand couturier, dessine à l’époque une collection inspirée par ce mouvement. «On a toujours tapé sur la mode mais elle regarde toujours la rue pour créer. L’ironie cruelle, c’est d’emprunter à la pauvreté pour faire du luxe», éclaire le spécialiste de la sphère grunge et de son épicentre, Seattle.

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Kurt Cobain a pourtant tenté la subversion par le vêtement. En Une du magazine Rolling Stone , son tee-shirt mentionne «Corporate magazines still suck», soit «Les magazines corporates (appartenant à un conglomérat) craignent toujours». Ses tee-shirts sont aussi le moyen pour lui de promouvoir des artistes à la marge qu’il chérit, comme le tourmenté Daniel Johnston.

Pour Kurt Cobain, les vêtements deviennent rapidement un moyen de faire passer des messages. En Une du magazine The Face , il pose en robe bleue à fleurs pour dénoncer le virilisme ambiant des groupes à guitares. Le chanteur le fait savoir : «Si certains d’entre vous détestent les homosexuels, les personnes de couleur ou les femmes […] ne venez pas à nos concerts».

Le message a traversé les décennies. Une robe a été portée récemment par les artistes américains Kid Cudi, Harry Styles ou encore Post Malone. «Ça veut dire que le monde n’a pas tant changé que ça en 30 ans, le problème est qu’on parlait plus du cliché des cheveux sales du grunge que de groupes féminins comme L7 qui défendaient le planning familial», regrette Charlotte Blum.

Le chanteur n’aura de cesse d’arracher toute étiquette, y compris celle du laisser-aller, s’affichant avec humour en lamé signé Jean-Paul Gaultier pour un clip. En février 1994, Nirvana joue en live dans l’émission télé française Nulle part ailleurs , en chemise blanche, veston et cravate noirs. Pat Smear, guitariste d’appoint en concert, ôte rapidement ses chaussures de ville, s’y sentant à l’étroit. Cobain étouffe, lui, dans son existence. Le leader du trio finit par se suicider le 5 avril 1994, à seulement 27 ans.