C’est l’un des rares événements culturels majeurs de l’été qui ne devrait pas être inquiété par la tenue des JO de Paris. Le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence annonçait ce matin la programmation de sa 76e édition, qui se déroulera du 3 au 23 juillet prochains. Une édition qui, du propre aveu de son directeur Pierre Audi, sera « bleu blanc rouge. J’ai toujours adoré la musique française. C’est même l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté ce festival, confie le metteur en scène et homme de théâtre franco-libanais, et ancien proche du compositeur Pierre Boulez. Et pour tout dire, je n’ai jamais trop bien compris ce désamour des Français pour leurs compositeurs !» Avec pas moins de quatre titres (sur les six opéras mis en scène cette année) issus de notre répertoire national, cette édition s’attachera à réparer cette injustice. «Il ne s’agit pas de ne faire que ça tous les ans, prévient le directeur artistique, dont cette 76e édition marquera le second mandat à la tête de l’institution. Le festival d’Aix est un festival d’envergure mondiale, accueillant les plus grands orchestres d’Europe, et qui a vocation à le rester. Mais je trouvais bien d’avoir cette alternance d’éditions aux couleurs tantôt très françaises, tantôt très internationales. »
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Dont acte. C’est par les deux Iphigénie de Gluck, Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride, couplées en un seul et même spectacle, que s’ouvrira le festival au Grand Théâtre de Provence. «Une intuition du metteur en scène Dmitri Tcherniakov, à qui cette nouvelle production est confiée. Il a déjà mis en scène les deux ouvrages. Mais cette fois, ce sera totalement différent puisqu’il aura la même Iphigénie, incarnée par la soprano américaine Corinne Winters, qui pour ses débuts au festival réalisera un véritable tour de force en incarnant l’héroïne dans les deux opéras.» Elle sera accompagnée au plateau par une sacrée brochette de voix françaises : Véronique Gens, Florian Sempey, Stanislas de Barbeyrac, Alexandre Duhamel… Et pour conduire tout ce beau monde vers l’abîme, Emmanuelle Haïm à la baguette de son Concert d’Astrée.
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Car qui dit «édition bleu blanc rouge», dit aussi célébration des ensembles spécialisés ou indépendants. «L’un des plus grands patrimoines français, qu’il est urgent de préserver. Je suis très heureux que le festival puisse prêter sa voix à l’essentialité de leur survie», tranche Audi. C’est justement l’un de ces ensembles indépendants spécialisés dans le baroque, devenu incontournable sur la scène française, qui emboîtera le pas du Concert d’Astrée, pour la seconde nouvelle production de cette édition : l’ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon. C’est à l’initiative de ce dernier que sera recréé, avec la collaboration du metteur en scène Claus Guth qui en a pour ainsi dire recomposé le livret, le Samson de Rameau. Plus qu’on opéra oublié ou perdu, un «opéra disséminé», pour reprendre l’expression des deux artistes. Prévu pour être créé dans les années 1730 sur un livret de Voltaire qui ne passa jamais la censure, le projet fut abandonné… Et les musiques projetées par Rameau réutilisées dans plusieurs ouvrages ultérieurs. Raphaël Pichon en a donc traqué les reliques chez Castor et Pollux, les Indes Galantes ou les Fêtes d’Hébé, pour reconstituer, sur un scénario de Claus Guth fidèle à l’esprit voltairien, «ce fascinant récit de la vie de Samson, de sa naissance jusqu’à sa mort, et dont la portée philosophique dépasse le simple épisode biblique de Samson et Dalila, que tout le monde connaît», se réjouit Pierre Audi.
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Après cette «création mondiale», retour à une œuvre plus familière avec, pour commémorer les cent ans de la mort de Puccini, une nouvelle production de Madama Butterfly confiée à l’une des plus grandes Butterfly du moment – Ermonela Jaho, qui fera elle aussi ses débuts sur la scène de l’Archevêché. Mais aussi au regard distancié de la metteuse en scène Andrea Breth, qui fait son retour à Aix deux ans après son travail in loco sur Salomé. Une «mise à distance» parfaitement assumée par Pierre Audi: «Andrea Breth fait partie des metteuses en scène avec lesquelles j’ai noué une relation forte depuis plusieurs années, et Madama Butterfly est un opéra délicat à mettre en scène aujourd’hui sans sombrer dans le cliché ou la revendication. Je suis donc très heureux d’avoir cette mise à distance.»
Deux années seulement séparent la création de Butterfly à Milan de celle du Pelleas et Mélisande de Debussy, au début du siècle passé. Deux années mais un monde esthétique. Il sera donc passionnant d’entendre leur confrontation à un jour d’intervalle, grâce à la reprise de la captivante mise en scène de Katie Mitchell, vue il y a sept ans de cela, «mais qui n’avait encore jamais été reprise en Europe», précise Audi. D’autant que les deux ouvrages seront portés par les mêmes forces (le chœur et orchestre de l’Opéra de Lyon). À la baguette pour le premier, le directeur musical de l’orchestre, Daniele Rustioni. Et au pupitre pour le second, celle que d’aucuns considèrent déjà comme l’une des candidates sérieuses au poste de directrice musicale de l’Opéra de Paris : Susanna Mälkki.
Quant au sixième et dernier opéra mis en scène, il nous ramènera en terres baroques avec Monteverdi et son Retour d’Ulysse dans la patrie. Une œuvre avec laquelle Pierre Audi avait lui-même remporté, dans les années 1990, l’un de ses plus fervents succès de metteur en scène, et qu’il a donc accepté de remettre sur le métier à la demande de Leonardo Garcia Alarcon lui-même et de son ensemble de la Cappella Mediterranea.
Beaucoup de baroque, donc. «Je mets un point d’honneur à ce qu’aucune édition ne ressemble à l’autre, sourit Audi. L’an dernier, on m’avait fait remarquer qu’il n’y avait aucun titre baroque. Cette année, le baroque sera largement représenté !» Mais aussi la continuation des sillons creusés par le festival l’an dernier. Le théâtre musical, qui continue de prendre du galon avec le diptyque Songs and Fragments, qui combinera les Eight songs for a mad King de Peter Maxwell Davies et les Kafka-Fragmente de Kurtag, dans une mise en scène de Barrie Kosky et sous la baguette du nouveau chef de l’Ensemble Intercontemporain Pierre Bleuse. Mais aussi la folle équipée philosophico-théâtrale, au LUMA d’Arles, de William Kentridge et du chef de chœur et danseur sud-africain Nhlanhla Mahlangu, qui dans The Great Yes, the great no, embarqueront sur un même bateau Aimé Césaire, les sœurs Nardal, Franz Fanon, Joséphine Bonaparte, Joséphine Baker, Trotsky et Staline !
Pas de spectacle ou de concert, enfin, investissant cette année le Stadium de Vitrolles. Mais une présence toujours accrue des concerts, avec entre autres deux nouveaux opéras en version concert mis en espace : La Clémence de Titus dirigée par Pichon, avec Pene Pati dans le rôle-titre et Karine Deshayes en Vittelia. Puis Les Vêpres siciliennes par Daniele Rustioni et l’orchestre de l’Opéra de Lyon. «Le succès du Prophète de Meyerbeer, l’an dernier, nous a confortés dans l’idée qu’il y avait une vraie demande du public pour ces opéras en concert», conclut Pierre Audi… Qui rêve déjà de mettre en place, pour l’été suivant, des concerts en matinée, à 11 heures, pour fidéliser le public d’Aix autour de ces rendez-vous musicaux tout au long de la journée.