Dans la pénombre de sa demeure, accueillant chez elle ceux désireux d’écouter ses histoires, Naomi raconte. Cette ancienne prostituée a traversé le Japon des années 1920, celui des faubourgs mal famés où pullulent les maisons closes. Chaque nuit, elle ravive ses souvenirs pour explorer le quotidien de celles, qui vendues à peine adolescentes, passeront leur vie à satisfaire le désir des hommes.

«Pour moi, Confidences d’une prostituée est une sobre déclaration d’amour adressée à ces femmes», écrit en préambule Takao Saitô. Dessiné en 1972, l’ouvrage rend hommage aux «précieuses jouvencelles» qu’il croisait jeune dans le salon de coiffure de son père. Un ouvrage personnel sélectionné à Angoulême, dans la catégorie Patrimoine.

L’auteur y met en scène Naomi, une narratrice qui sait captiver un public composite, entre journalistes avides d’histoires rocambolesques, vieux amis solitaires ou jeunes filles désireuses de connaître ses techniques de séduction. Tragique, parfois cruel ou cocasse, chaque récit, empreint de mélancolie, offre un portrait intime de dix prostituées où s’entremêlent misère et grandeur d’âme. Si l’ancienne dame de compagnie évoque les nombreuses passes accumulées, les humiliations, les espoirs avortés ou la tristesse, elle se remémore aussi la générosité, l’abnégation, les rires, la fierté de ces femmes marquées du sceau de l’infamie malgré elles.

À l’instar de celle qui renonce au bonheur pour ne pas entacher la réputation de son amant lui demandant de sauver plutôt une nouvelle recrue de quinze ans dont la virginité est mise aux enchères. Ou d’une autre qui a su, malgré les coups et les insultes, apaiser l’âme tourmentée d’un homme s’apprêtant à commettre un crime : «Cette histoire décrit comment en une nuit les principes d’un jeune homme furent totalement remis en cause par un simple contact charnel..», souligne Naomi. L’assouvissement du désir de l’homme comme rempart à sa brutalité, est le propos qui sous-tend Confidences d’une prostituée qui salue celles qui savent, malgré leurs souffrances, écouter, apaiser, offrir un refuge parfois providentiel dans un Japon malmené par la crise économique.

Sans misérabilisme, Takao Saitô a su retracer avec bienveillance, pudeur et profondeur la misère de ces jeunes filles au corps exploité et entravé par une dette de mille yens. «Ces précieuses jouvencelles étaient l’innocence même» écrit l’auteur qui, de son regard attendri, a su les parer de cette pureté conservée. Avec Confidences d’une prostituée, sous le trait délicat de Takao Saitô, ces femmes en perdition deviennent héroïnes.

Confidences d’une prostituée, Takao Saito, Akata, 16,99 euros.