Au sein des nombreuses réactions qui ont suivi l’attaque du Hamas contre Israël, samedi 7 octobre au petit matin, celle de Joann Sfar, empreinte à la fois d’émotion et de colère, a marqué les esprits. Sur Instagram, d’abord, avec un message posté dimanche : «Celles et ceux qui depuis des années ouvrent les bras au Hamas et à ses alliés sont les ennemis déclarés de la Palestine et d’Israël. Ils ont sur les mains le sang des pogroms de ce matin. Les universitaires et politiciens qui accueillent à bras ouverts le terrorisme sont acteurs de massacre. Et ça rapporte des voix?». Des mots âpres, accompagnés d’une aquarelle -qui représente les caractères hébraïques- signifiant «Nous vivrons». Le dessin, liké par plus de 32.000 personnes et relayé en masse sur le réseau social, est devenu un fort symbole de soutien à Israël.

Sur le plateau de BFMTV ensuite, où l’auteur du Chat du rabbin s’est largement exprimé : «C’est une histoire cauchemardesque», déplorait alors le dessinateur très inquiet pour sa famille paternelle qui habite en Israël. Surtout, le dessinateur y pointe des réactions en France marquées par une forme d’insensibilité, quand elles mettent en parallèle la souffrance des Israéliens et celle des Palestiniens. «Je ne veux plus parler de victimes juives et qu’on me réponde que je suis aveugle à la souffrance arabe. Ce n’est pas vrai. Si on pouvait tous être ouverts à la souffrance des uns des autres, on ne changerait rien, mais au moins, on arrêterait de se couvrir de ridicule», a-t-il déclaré.

Un «endurcissement», pour le dessinateur, lié en partie à une jeunesse mal informée qui voit en Israël «un état d’extrême droite qui massacre. La réalité, c’est que c’est un pays petit comme les Alpes-Maritimes – et, certains le regrettent, une démocratie. Comme cette démocratie est en situation de survie en permanence, la situation de survie amène à un vote qui ne fait plaisir à personne.»

Quand Joann Sfar rappelle le supplice subi par des enfants juifs et des personnes âgées et les jeunes femmes assassinées exhibées comme des trophées lors de l’attaque du Hamas, il explique se voir opposer toujours le même type de réponse dès qu’il aborde le sujet: «Dès que j’ai le malheur de parler de ça, on me dit: “Que fais-tu de la souffrance palestinienne?” Mais manque de bol, ça fait trente ans que je me bats pour la paix pour les Palestiniens», allègue le dessinateur. Avant d’exprimer sa profonde indignation envers ceux qui, en France, «par souci d’électoralisme feignent de croire qu’il y a là une personne qui essaie de se battre pour libérer la rue palestinienne (…). Il n’est pas question de ça, il est question de terrorisme», affirme-t-il avec force.

Sur le plateau de BFMTV, Joann Sfar, bouleversé, s’indigne autant qu’il s’interroge: «Si on pouvait éviter de se couvrir de honte par les choses que j’entends depuis hier. Je ne sais pas ce qu’on fait les Juifs pour que, quand on leur fait ça, il y ait une telle insensibilité. Ce qui existe aujourd’hui en Israël, c’est comme s’il y avait eu dix Bataclan.»

Des propos qui rejoignent ceux de l’animateur Arthur, ayant participé lundi soir au rassemblement du Crif à Paris en soutien à Israël. «Mes amis du métier sont très silencieux, très discrets. Je ne comprends pas pourquoi », s’est-il étonné, dépité. « On est là quand il s’agit de toutes les causes et celle-ci… C’est comme le Bataclan quoi. Je suis sidéré par le silence de mes camarades », poursuit-il avant de partager une note d’espoir. « Mais il n’est jamais trop tard».

Mardi 10 octobre, lors d’un entretien accordé au Huffington Post , Joann Sfar abonde dans le sens de l’animateur de TF1: «Si je peux avoir un peu de colère, c’est en effet contre tous les gens qui sont prompts à pétitionner trois fois par semaine pour tout et rien. Eh bien leur silence, il s’est beaucoup vu depuis quelques jours. Je suis surpris quand je vois tous ces grands militants humanistes et féministes qui ne disent pas un mot face aux viols et aux massacres qui ont lieu dans le sud d’Israël». Tout en revenant sur la position qu’il adopte depuis des années face au conflit israélo-palestinien. «Je fais partie des voix juives qui depuis toujours, parlent pour la Palestine, pour un État palestinien, a-t-il rappelé, et une réhumanisation du conflit qui doit aller dans les deux sens.»

La voix radiophonique n’est pas en reste. Sur France Culture, Joann Sfar a participé à une table ronde aux côtés des artistes Valérie Zenatti et Firas Khoury où il a de nouveau, évoqué la méconnaissance des jeunes sur la question israélo-palestinienne. «Ce que je demande à la jeunesse qui est favorable au bien-être de la Palestine, c’est de s’intéresser au réel, aux ouvrages d’histoire ou de journalistes pour comprendre, sans doute les injustices de la société israélienne, mais ce sont les injustices d’une démocratie», a exposé l’auteur, submergé par l’émotion.

Infatigable, fervent adepte des croquis humoristiques s’appuyant sur l’actualité, Joann Sfar, auteur prolifique de plus de 200 ouvrages, n’a jamais lésiné sur la parole. Dans La Synagogue, récit autobiographique revenant sur son adolescence à Nice dans les années 1980 sur fond d’antisémitisme, publié en 2022, il écrit en guise de conclusion que «ce livre n’a de sens que par son pessimisme (…). Je suis vraiment certain que face aux vagues de rage on ne peut rien faire. C’est pas pour ça qu’on va fermer sa gueule».

Et son œuvre, traversée par un édifiant et savoureux bouillon de culture, sera mise en lumière par le musée d’art et d’histoire du judaïsme, via l’exposition Joann Sfar. La vie dessinée, à partir du 12 octobre. «Ce qui me tient beaucoup à cœur, c’est d’être un auteur juif, déclarait Joann Sfar il y a un an dans une émission de France Culture que le catalogue de l’expo rappelle à notre bon souvenir. Qu’est-ce que ça veut dire à mes yeux? Ça veut dire que la voix juive , c’est une des voix de la polyphonie du monde au même titre que Pessoa est un auteur portugais. Ce n’est pas une nation, le judaïsme, c’est une voix. Et en littérature, cela veut dire quelque chose (…). Donc, de manière très consciente, j’ai toujours cherché à être un auteur juif. Et pour moi, il n’y a pas plus français, plus européen qu’un auteur juif». Une voix qui n’a pas fini de résonner…