On pouvait s’y attendre. La fracture entre la bande dessinée grand public et les prix décernés à Angoulême ne cesse de grandir. Pour la 50e édition, on aurait espéré un sursaut. En début de festival, l’élection du Grand Prix de la ville à Riad Sattouf, avait donné un peu d’espoir. Le créateur de la série L’Arabe du Futur symbolisait une élégante passerelle entre une bande dessinée d’auteur exigeante et le plus grand nombre (plus d’un million et demi d’albums vendus).

Ce palmarès 2023, au contraire, affirme l’envie du jury de s’éloigner de la bande dessinée populaire. Finis les héros de BD au grand cœur de Tintin à Gaston en passant par Bécassine, Natacha, Yoko Tsuno, Spider-Man, Superman, Batman, Wonder Woman, Buck Danny, Blueberry ou Spirou (au moment où Dupuis fêtent sont centenaire dans une exposition intitulée La fabrique de héros ). Terminées les BD humoristiques au dessin estampillé «gros nez».

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Exit les séries d’aventure et autres sagas virevoltantes au dessin réaliste: bienvenue à l’avant-garde, aux albums sombres, radicaux, engagés, introspectifs dont la lisibilité graphique, ou la beauté formelle n’est plus une préoccupation majeure.

Outre l’absence de la BD franco-belge et de grands éditeurs tels Dargaud, Casterman, Dupuis, Delcourt, Albin Michel ou Le Lombard, (qui émargent en bordure des récompenses), on a surtout vu les mangas récompensés, et surtout la victoire d’un éditeur qui a un flair incroyable, Serge Ewenczyk des éditions Cà et Là, éditeur de «bandes dessinées étrangères destinées à un public ado/adulte», qui rafle trois prix importants cette année, dont le Fauve d’or de la meilleure BD.

Au sein du théâtre d’Angoulême, l’ambiance électrique était d’ailleurs à son comble lors de cette remise de prix. Les membres du jury ont couronné La Couleur des choses, de l’auteur suisse Martin Panchaud, un album avant-gardiste, tout en rond et en carré, entre l’abstraction d’un Kandinsky et les audaces formelles d’un Chris Ware.

Seuls les Fauves jeunesse, celui du Grand jury jeunesse donné à Toutes les princesses meurent après minuit, de Quentin Zuttion, ainsi que La Longue marche des dindes, de Leonie Bischoff et Kathleen Karr, échappent à cette recherche expérimentale, pour favoriser un récit et des personnages très romanesques.

On regrette hélas que le jury soit passé à côté du couronnement de l’œuvre de La dernière Reine, un somptueux album de Jean-Marc Rochette, à l’heure où, choqué par l’affaire Bastien Vivès, l’auteur du célèbre Transperceneige avait déclaré vouloir prendre ses distances avec le monde de la BD, et mettre fin à sa carrière.

On le sent, ce palmarès radical et élitiste entérine la retraite des uns et la montée en puissance d’une nouvelle bande dessinée issue des petits éditeurs indépendants. Place aux jeunes…

L’intégralité du palmarès

La Couleur des choses, de Martin Panchaud, Éditions Çà et là.

Animan, d’Anouk Ricard, Éditions Exemplaire.

Une Rainette en automne (et plus encore…), de Linnea Sterte – Traduction par Astrid Boitel, Les Éditions de la Cerise.

Les Liens du sang T.11, Shuzo Oshimi – Traduction de Sébastien Ludmann, Éditions Ki-oon.

Naphtaline, de Sole Otero – Traduction d’Éloïse de la Maison, Éditions Çà et Là.

Khat, de Ximo Abadía – Traduction d’Anne Calmels et David Schalvelzon, Éditions La Joie de lire.

Fleurs de Pierre, de Hisashi Sakaguchi – Traduction d’Ilan Nguyen, Éditions Revival.

Hound Dog, de Nicolas Pegon, Éditions Denoël Graphic.

Sous le soleil, d’Ana Penyas – Traduction de Benoît Mitaine, Actes Sud L’An 2.

Four à Chaux, collectif, Extinció Edicions (Espagne).

Toutes les princesses meurent après minuit, de Quentin Zuttion, Éditions Le Lombard.

La Longue marche des dindes, de Leonie Bischoff – Kathleen Karr, Éditions Rue de Sèvres.

Junji Itō.

Ryoichi Ikegami.

Hajime Isayama.

La Falaise, Manon Debaye, Éditions Sarbacane.

Dai Dark – Tome 1, de Q Hayashida, Traduction de Sylvain Chollet , Éditions Soleil.

Cauchemars ex Machina, de Thierry Smolderen, Dessin de Jorge González, Éditions Dargaud.

Peau, de Mieke Versyp, Éditions Çà et Là.