Protéger sans aider. C’est tout le subtil équilibre qui devait être trouvé mardi par les ministres de l’énergie des Vingt-sept, rassemblés dans une sorte de réunion de la dernière chance visant à définir le fonctionnement futur du marché de l’électricité au sein de l’Union européenne. Ils sont parvenus à un accord, qui marque une étape cruciale et clos des mois de dialogue de sourds entre la France et l’Allemagne. D’un point de vue formel, la balle est désormais dans le camp du Parlement européen avec un premier rendez-vous fixé dès le 19 octobre à 11 heures. L’objectif est désormais de trouver un terrain d’entente d’ici la fin de l’année.
En l’état actuel, le texte issu du Conseil devrait permettre à la France de disposer d’un prix de l’électricité qui «reflète le coût de production de son mix énergétique», expliquait mardi soir le ministère de la transition énergétique. Pour Paris, tout l’enjeu est de faire bénéficier les consommateurs français, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, de son mix énergétique particulier. Avec ses 56 réacteurs nucléaires, assurant environ 70% de la consommation d’électricité nationale, le pays dispose d’électrons relativement bon marché. Sauf que, jusqu’à présent, le prix de gros de l’électricité n’était pas directement lié au coût de production moyen mais à celui de la dernière centrale appelée. Soit, en période de fortes tensions sur le réseau, des centrales à gaz. Tant que les prix de ce dernier étaient faibles, cela ne posait pas de problème, mais avec la guerre en Ukraine, ils ont flambé, entraînant dans leur sillage celui de l’électricité.
Avec le nouvel accord, traçant les contours du «market design», les prix de l’électricité devraient refléter ceux de production grâce à la mise en place de contrats pour différence (CFD). Ce mécanisme à «deux sens», repose sur la signature de contrats à long terme entre des entités publiques (l’État) et les producteurs d’électricité. Un prix repère du mégawattheure est défini. Quand celui du marché de gros de l’électricité s’envole, la différence perçue par le producteur entre ce prix repère et la réalité est reversée à l’État, qui peut la redistribuer aux consommateurs. C’est un moyen de les protéger «sans mettre en place de coûteux boucliers tarifaires», a rappelé Agnès Pannier-Runacher, la ministre de l’énergie. Dans le cas contraire, quand les prix de gros s’effondrent, l’État indemnise le producteur en lui versant la différence entre le prix repère et le prix de gros.
Le dispositif est fréquemment utilisé lors des procédures d’appel d’offres de la commission de régulation de l’énergie (CRE) pour l’attribution de nouveaux parcs photovoltaïques et éoliens terrestres ou maritimes. Mais il ne pouvait pas s’appliquer au parc nucléaire existant. La généralisation attendue – et défendue par la France – de ce principe doit donc aboutir à un lissage des prix de l’électricité pour les consommateurs et à une meilleure visibilité sur leurs revenus des producteurs. Tout n’est pas pour autant résolu. Car la question du coût de production de l’électricité nucléaire n’est pas tranchée. Elle devrait elle aussi faire l’objet d’âpres discussions entre l’État et EDF, mais aussi entre la France et ses partenaires européens (notamment les Allemands) qui n’ont pas envie de voir l’Hexagone offrir aux industriels des prix de l’énergie très très compétitifs, et donc, de risquer la distorsion de concurrence. Tout l’enjeu sera de trouver un niveau reflétant la réalité, tout en étant acceptable par toutes les parties (EDF, L’Élysée, Bruxelles, les industriels ….).
Des pistes ont déjà été ouvertes, avec la publication par la CRE d’un coût de production de l’électricité nucléaire à 60 euros le MWh, «proche de ceux de l’électricité renouvelable», rappelait hier soir l’Élysée. Une façon de rassurer Berlin qui mise massivement sur l’éolien et le solaire. Ce coût préfigure ce que pourrait être le prix de demain pour l’électricité en France. À celui-ci devrait s’ajouter la marge des producteurs, – EDF y est d’autant plus sensible qu’il lui faut financer tout ou partie du nouveau nucléaire – mais aussi différentes taxes et frais de transport de l’électricité. «L’accord nous permet de réfléchir sereinement à la régulation sur le nucléaire existant et futur, résumait l’Élysée. La négociation pose un cadre général, différent de la négociation avec EDF, qui est un autre sujet». Si le prix final est loin d’être établi, l’accord devrait garantir une réelle visibilité à moyen terme sur les factures réglées par les consommateurs – particuliers et entreprises – et éviter les brusques envolées.