Retour en vol réussi pour le New Shepard. La petite fusée réutilisable de Blue Origin, la société spatiale de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a décollé, ce mardi à 17H43 (heure de Paris), depuis son pas de tir situé sur la base spatiale de Van Horn au Texas. Le vol, prévu la veille, avait été décalé de 24H00, après la découverte d’une anomalie au niveau «des systèmes au sol», selon la société. À bord de la mission NS-24, aucun touriste spatial mais 33 charges utiles scientifiques, dont plus de la moitié développée avec le soutien de la Nasa, et 38 000 cartes postales du Club pour l’avenir, envoyées par des étudiants du monde entier.

Cette remise en service du New Shepard intervient plus d’un an après l’accident survenu, en septembre 2022, qui s’était soldé par le crash du lanceur quelques minutes après son décollage, tandis que la capsule était éjectée et retombait sur terre après avoir ouvert ses parachutes. L’accident n’a fait aucune victime, en l’absence de «touristes» de l’espace à bord.

L’enquête lancée par l’Agence américaine de la sécurité aérienne (FAA) et la Nasa ainsi que les analyses réalisées par les ingénieurs de Blue Origin, ont montré que «la cause directe de l’accident provient d’une défaillance thermo-structurelle de la buse du moteur BE-3PM (le module de puissance, NDLR) pendant la propulsion ». Blue Origin a apporté des correctifs, notamment « des modifications de conception de la chambre de combustion ». La FAA a confirmé, dimanche dernier, avoir approuvé une nouvelle licence de vol pour la petite fusée modifiée.

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Pourtant, depuis le premier vol embarquant des passagers, dont Jeff Bezos en personne, en juillet 2021, New Shepard a déjà transporté 31 touristes aux frontières de l’espace, à quelque 100 km de la Terre. Pendant quelques minutes, ces derniers ont pu faire l’expérience de l’apesanteur et admirer la courbure de la Terre. Avec le succès de la mission NS-24, Blue Origin prévoit de reprendre les vols commerciaux début 2024. Soit plus de six mois après la relance des missions touristiques organisées par son concurrent, Virgin Galatic, lors de la mission Galatic 02 en août dernier. Bien que critiquées, ces ballades suborbitales connaissent une forte demande. « Des milliers de personnes participent au processus d’enchères » pour acheter un ticket, a récemment assuré Bob Smith, PDG de Blue Origin. La demande est telle que la société spatiale peut « facilement doubler » le nombre de missions habitées par rapport à celles réalisées en 2021. Entre juillet 2021 et avril 2022, New Shepard avait décollé quatre fois avec des touristes à bord. La société ne communique pas de tarif mais elle a déjà déclaré viser un prix cible de 250 000 dollars, le siège. De son côté, Virgin Galatic précise compter plus de 800 «touristes» sur liste d’attente, qui ont déboursé entre 200 et 250 000 dollars.

Blue Origin revient donc, en 2024, dans la course au tourisme spatial suborbital. L’année s’annonce également cruciale pour ses autres programmes. En particulier pour le New Glenn, son lanceur lourd réutilisable, dont le vol inaugural est prévu courant 2024, tout comme celui, également très attendu, de la nouvelle fusée européenne Ariane 6, dont le premier décollage doit intervenir entre le 15 juin et le 31 juillet 2024. Développé depuis 2012, le New Glenn accuse, tout comme Ariane 6, quatre ans de retard sur son calendrier initial. Blue Origin procède à une extension de ses installations de fabrication, d’assemblage et de test à un jet de pierre du Kennedy Space Center de la NASA. Objectif ? Augmenter les cadences de production et des essais du moteur méthane oxygène liquide BE-4, qui équipera aussi la Vulcan Centaur, le lanceur lourd développé par ULA, société commune à Lockheed et Boeing. Le Vulcan doit aussi décoller pour la première fois en 2024, mais avant le New Glenn, puisque son vol inaugural est prévu dès janvier.

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Ces trois fusées ont été choisies par Jeff Bezos pour déployer Kuiper, la constellation d’internet haut débit d’Amazon. Le temps presse : les premiers satellites de Kuiper auraient dû être lancés à partir de 2024. Ce qui semble compliqué, au vu des retards pris par les trois lanceurs. Deux Ariane 6 doivent décoller en 2024, mais aucune pour le compte de la constellation américaine. Or, afin de conserver la licence accordée par le gendarme américain des télécoms, Amazon doit avoir mis en orbite, d’ici à 2026, au moins la moitié des 3 236 satellites prévus. Autre lancement qui paraît menacé, l’envoi de deux petites sondes, emportant des instruments de mesure des champs magnétiques et des plasmas de Mars, par le New Glenn, choisi par la Nasa en 2023, dans le cadre de la mission Escapade.

Pendant ce temps, SpaceX continue de lancer avec une régularité de métronome. Parfois avec deux tirs le même jour : le 28 décembre, la société spatiale d’Elon Musk prévoit un décollage de Falcon 9 pour déployer un nouveau lot de satellites dédiés à sa constellation Starlink ainsi qu’un tir (le 5ème de l’année) du Falcon Heavy, la version lourde, pour lancer en orbite géostationnaire (GEO, à 36.000 km de la Terre), la navette militaire X-37B, développée sous la supervision de l’US Air Force et du Space Command américain. Début décembre, SpaceX avait aussi réalisé 86 tirs de Falcon 9 et deux décollages de Starship, sa fusée géante. La société est bien partie pour atteindre son objectif 2023 de 100 tirs contre 61 en 2022. Soit un record absolu de lancement en une seule année. De quoi faire jubiler Elon Musk : « l’objectif est de réaliser 10 vols de Falcon par mois d’ici la fin de l’année, puis 12 par mois l’année prochaine », avait-il déclaré sur X (ex-Twitter), cet automne. Affirmant dans la foulée que SpaceX aura livré « environ 80% des charges utiles terrestres en orbite en 2023, la Chine quelque 10% et le reste du monde, également 10% ». Une ultra-domination qui inquiète les opérateurs de satellites qui espèrent voir la concurrence s’élargir avec la mise en service d’Ariane 6, du New Glenn et du Vulcan Centaur.