L’argument n’a pas fait florès dans les débats sur les retraites qui agitent la France depuis plusieurs mois, bien qu’il fonde selon l’exécutif «la nécessité de faire cette réforme». Le solde du système des retraites se révèle déficitaire dans les prévisions du très respecté Conseil d’orientation des retraites (COR), tandis que le problème de la dette publique s’aggrave dangereusement en raison de la brusque hausse des taux d’intérêt. Le directeur des études de Rexecode, Olivier Redoulès, et le président de l’association Fipeco, François Ecalle, se sont penchés sur les conséquences de la réforme des retraites sur les finances publiques. Les deux spécialistes préviennent tout de go que «l’effet global de la réforme sur les dépenses publiques est limité».

Un certain nombre de mesures promulguées par le président de la République vendredi dernier, à commencer par le report de l’âge légal de départ à 64 ans, engendreront des baisses de dépenses pour le système des retraites. Olivier Redoulès et François Ecalle les évaluent à 14 milliards d’euros en 2030 en se fondant sur l’étude d’impact fournie par le gouvernement. Toute une autre partie des mesures entraînera par inverse de nouvelles dépenses. Le coût des mesures «d’exemption et d’accompagnement» est estimé à 5,9 milliards d’euros en 2030. «À ces dispositifs figurant dans le projet de loi initial se sont ajoutées les mesures adoptées au fil du débat parlementaire, dont l’effet total sur les dépenses peut être estimé à environ 1 milliard d’euros», note l’étude de Rexecode et Fipeco.

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Outre une baisse nette des dépenses du système de retraite, la réforme du gouvernement Borne entraînera également une hausse des recettes : en travaillant plus longtemps, les Français cotiseront davantage au financement du système des retraites. Après avoir pesé et soupesé l’ensemble des nouveaux paramètres prévus par la réforme, les deux économistes comptent 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires en 2030. En définitive, si l’on prend en considération à la fois les baisses de dépenses (-7,1 milliards d’euros) et les augmentations de recettes ( 6 milliards d’euros), le solde se situe à 13,1 milliards d’euros en 2030 sous l’effet de la réforme des retraites.

Ce solde positif suffira-t-il à annuler les déficits du système des retraites ? Non, répondent sans ambiguïté les deux spécialistes des finances publiques. Olivier Redoulès et François Ecalle s’affranchissent des prévisions du COR en matière de déficit, qui reposent selon eux sur des paramètres macroéconomiques trop optimistes. «Sous des perspectives macroéconomiques plus prudentes à l’horizon 2030, mais sans doute plus vraisemblables, le déficit des régimes de retraite atteindrait avant réforme 1 % du PIB en 2030, le déficit après réforme serait alors de 0,6 % du PIB», concluent-ils. Un déficit après réforme autrement plus important que celui de 0,2% du PIB communiqué par les autorités.

Les conséquences de cette réforme des retraites dépassent largement les seuls comptes de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. L’augmentation du taux d’emploi, sous l’effet du report de l’âge légal de départ et de l’allongement de la durée de cotisation, entraînera notamment une augmentation du PIB de l’ordre de 1,1 point en 2030, selon les calculs de Rexecode et Fipeco. Autre conséquence d’un meilleur taux d’emploi : une hausse des prélèvements obligatoires et donc des recettes publiques. Un pactole non négligeable de 18 milliards d’euros hors cotisations retraites pour les caisses de l’État en 2030. D’autres dispositions prévues par la réforme permettent des gains plus relatifs pour les finances publiques, dont l’harmonisation des taux de contribution sur les indemnités de rupture conventionnelle et de départ à la retraite qui représente un gain de 300 millions d’euros.

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Mais de la même manière que pour le système des retraites, cet allongement de la carrière représentera aussi des dépenses supplémentaires pour les finances publiques au-delà du système de retraites. Les dépenses de l’assurance-chômage vont par exemple gonfler au vu des problèmes structurels du marché du travail français en matière d’emploi des seniors. Il en va de même pour la Caisse d’allocations familiales par exemple. Les experts s’accordent à dire que ces dépenses sociales «par ricochet» représentent environ 20% des économies brutes attendues, soit 3,6 milliards d’euros en 2030.

Les travaux de Rexecode et Fipeco nous révèlent en bout de ligne que le problème du déficit lié aux retraites ne sera pas réglé en 2030, comme le gouvernement en avait fait la promesse. Tant s’en faut. «La situation des finances publiques resterait contrainte après la réforme», signent les auteurs de l’enquête statistique. Un constat à chaud qui nous projette déjà dans les conditions de possibilité d’une nouvelle réforme.