Au Canada, le blocage par Meta du partage d’articles de presse sur ses réseaux sociaux Facebook et Instagram a eu une conséquence positive : les Québécois s’informent à nouveau sur les sites internet des médias traditionnels. « 29 % des adultes québécois ont dû changer leurs habitudes pour s’informer à cause du blocage des nouvelles en ligne par Meta. Cette proportion est de 61 % chez les 18 à 34 ans », affirme une étude de l’université Laval de Québec. « 4 % des adultes ont délaissé les réseaux sociaux comme source d’information la plus souvent utilisée, alors qu’un gain de 4 % est observé du côté des sites web offrant des contenus d’information. »
Et cette enquête de préciser : « Un adulte québécois sur cinq détenant un compte Facebook a l’intention de fermer celui-ci si le blocage des nouvelles en ligne par Meta se poursuit. » Ce sont les jeunes Québécois qui se disent le plus remontés. Plus de 35 % des 18-24 ans et 36 % des 25-34 ans annoncent qu’ils fermeront leur compte Facebook si la situation perdure.
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Ottawa a adopté en juin la loi C-18 sur les nouvelles en ligne, en vertu de laquelle Google et Meta doivent payer depuis le 19 décembre des redevances pour les articles des médias canadiens qu’ils diffusent sur leurs plateformes. Fureur des dirigeants de Meta, qui bloquent depuis le 1er août l’accès aux articles canadiens sur leurs applications Facebook et Instagram. Et si les habitants de la Belle Province plébiscitent à nouveau les sites web des journaux, des radios et des télévisions comme première source d’information, le groupe américain reste inflexible.
Lors d’une audience au Comité permanent de l’accès à l’information de la Chambre des communes à la mi-décembre, la responsable des politiques publiques de Meta au Canada, Rachel Curran, a même tenté de diviser la classe médiatique en proposant une entente séparée avec les médias locaux et communautaires.
« Si nous étions exclus de la loi C-18, de façon à ce que les exigences de cette législation ne s’appliquent pas à Meta, ou s’il y avait une exclusion pour les nouvelles locales, nous pourrions les ramener sur nos plateformes. » Mais sans proposer toutefois un dollar en échange, car il n’est pas question de verser « un montant non plafonné, inconnu, pour des contenus qui n’ont aucune valeur commerciale », a ajouté Rachel Curran, suscitant l’indignation des médias locaux.
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Plusieurs experts ont estimé que la reprise des nouvelles canadiennes, tant locales que nationales, rapporte à Meta environ 200 millions de dollars par an, sur un chiffre d’affaires publicitaire total au Canada de 4 milliards de dollars.
Si l’attitude de Meta irrite l’opinion publique canadienne, c’est aussi parce que Google, au terme d’un accord conclu avec Ottawa début décembre, versera 100 millions de dollars par an dans un fonds que le ministère du Patrimoine (Culture) redistribuera aux médias canadiens. À peine la nouvelle annoncée, les représentants de ces derniers se sont écharpés sur la place publique pour que leur média obtienne une part du pactole promis par Google.
Plusieurs chefs de partis politiques ont demandé au gouvernement fédéral de réserver les 100 millions de dollars aux seuls médias privés. La ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a suscité un tollé en fin de semaine dernière en déclarant que les chaînes de radio-télévision publiques CBC-Radio-Canada, récipiendaires de plus de 1 milliard de dollars d’argent public, percevraient sept millions de dollars par an du fonds Google.
Le blocage des nouvelles sur Meta a eu des conséquences diverses dans le pays. Alors que Québec a appelé à un boycott de l’achat de publicité sur Meta et que cet appel a été plutôt bien suivi dans la province, il a été un échec au Canada anglophone. Quant aux partis politiques, s’ils ont été parmi les premiers à dénoncer le comportement du géant américain, la plupart ont continué à acheter discrètement de la publicité sur Meta.
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Le premier ministre, Justin Trudeau, et son épouse Sophie ont annoncé en août leur séparation sur Instagram, alors que l’entreprise avait déjà entamé le blocage des nouvelles canadiennes. Tant la classe politique que les médias sont très dépendants de Meta, au point où un député s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’un « service essentiel ».
Dans une lettre commune publiée récemment dans la presse québécoise, les directeurs d’une dizaine de médias francophones ont reconnu leur impuissance. Ils le déplorent : « Avant le blocage, Facebook et Instagram constituaient des leviers majeurs pour la mise en valeur de nos contenus. Nous appréhendons maintenant les contrecoups d’une baisse de visibilité de nos contenus entraînant naturellement un déclin de nos revenus publicitaires, déjà affectés depuis plusieurs années par la migration d’une part de la publicité vers les géants du web. ».