Correspondant à Moscou
À défaut de mesures concrètes concernant les opérations militaires en Ukraine, voire le lancement d’une nouvelle vague de mobilisation, Vladimir Poutine a achevé mardi son «discours à la nation» par une annonce lourde de menace: la suspension par la Russie de sa participation à l’accord New Start sur le désarmement nucléaire, le dernier traité bilatéral susceptible de limiter les arsenaux stratégiques russe et américain. La «botte» du Kremlin dans le duel à distance qui opposait le président russe à son homologue américain Joe Biden, dont le discours à Varsovie était attendu quelques heures plus tard.
L’accord New Start, signé en 2010 par Barack Obama et Dmitri Medvedev, alors chef du Kremlin, puis prolongé jusqu’en 2026 après l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, prévoit notamment des inspections sur site pour s’assurer que les deux parties respectent leurs engagements. Ce processus a été interrompu en mars 2020 dans le contexte de la pandémie et des pourparlers sur la reprise des inspections étaient censés reprendre en novembre dernier. Projets restés lettre morte alors que dans le fracas de la guerre en Ukraine les tensions entre les deux adversaires de la guerre froide atteignaient des sommets. La décision russe a été qualifiée mardi de «très décevante et irresponsable», par le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.
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Cette adresse présidentielle, qui se tient traditionnellement chaque année, n’avait pas eu lieu en 2022. Elle a été fixée à dessein quasiment au premier anniversaire, vendredi prochain, du lancement de l’«opération militaire spéciale» en Ukraine. Pour l’occasion, les parlementaires, les piliers du régime et des vétérans et blessés du Donbass ont été réunis au Gostiny Dvor, l’ancien marché couvert situé non loin du Kremlin. Devant cet auditoire qui s’est mis debout à plusieurs reprises pour l’applaudir, Vladimir Poutine a fait encore monter la pression en menaçant les Occidentaux de réaliser de nouveaux tests nucléaires si les États-Unis s’engageaient en premier dans cette voie. «Début février de cette année, l’Otan a fait une déclaration demandant à la Russie de revenir à la mise en œuvre du traité (…), y compris avec des inspections dans nos installations de défense nucléaire», a souligné mardi Vladimir Poutine, faisant allusion à une déclaration publiée le 3 février par l’Alliance. «La Russie manque aux obligations juridiquement contraignantes que lui impose le nouveau traité Start», peut-on y lire.
C’est le «théâtre de l’absurde», a tempêté Poutine. «Nous savons que l’Occident est directement impliqué dans les tentatives du régime de Kiev de frapper les bases de notre aviation stratégique. Les drones utilisés pour cela ont été équipés et modernisés avec l’aide de spécialistes de l’Otan», a affirmé le président russe. «Les États-Unis et l’Otan disent ouvertement que leur objectif est d’infliger une défaite stratégique à la Russie. Et après cela, ils veulent faire le tour de nos installations de défense comme si de rien n’était?», a fait mine de s’offusquer le chef du Kremlin. Selon lui, «la validité pour l’utilisation au combat de certains types d’armes nucléaires aux États-Unis arrive à expiration (…) et certains à Washington pensent à faire des essais, compte tenu du fait que les États-Unis développent de nouveaux types d’armes nucléaires». Dans cette situation, «le ministère russe de la Défense et Rosatom (le géant de l’énergie atomique russe, NDLR) doivent s’assurer qu’ils sont prêts à tester les armes nucléaires russes», a déclaré Poutine. «Bien sûr, nous ne serons pas les premiers à le faire. Mais si les États-Unis testent, alors nous le ferons», a-t-il lancé, en achevant sa tirade par une mise en garde : «Personne ne devrait avoir la dangereuse illusion que la parité stratégique mondiale peut être détruite.»
Sans grande nouveauté, le long propos au vitriol de Vladimir Poutine – une heure et demie de discours – pouvait se lire au prisme de l’«inversion accusatoire», selon laquelle c’est l’«Occident collectif» qui souhaitait de longue date «en finir avec la Russie» en armant l’Ukraine, les États-Unis ayant, quant à eux, déjà «commencé à détruire brutalement tous les fondements de l’ordre mondial, établis après la Seconde Guerre mondiale».
Poussant sa logique, le chef du Kremlin a estimé mardi qu’en lançant un «ultimatum» à la Russie pour reprendre les discussions sur le traité New Start, l’Otan devait elle aussi se soumettre à ses obligations. «Avec sa déclaration collective, (rendue publique le 3 février, NDLR), l’Otan a en fait demandé à devenir partie au traité sur les armes stratégiques offensives. Nous sommes d’accord avec cela», a dit mardi Vladimir Poutine. Quitte à détourner New Start de sa nature, puisqu’il s’agit d’un accord bilatéral. Celui-ci ne concerne en effet que les deux principales puissances nucléaires (détentrices à elles seules de 90 % de ces armes dans le monde) et limite leurs arsenaux à un maximum de 1550 ogives déployées chacun, soit une réduction de près de 30 % par rapport à la limite précédente fixée en 2002.
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Mardi, toutefois, le chef du Kremlin a indiqué que devaient être incluses dans New Start les deux autres puissances nucléaires de l’Otan, la France et la Grande-Bretagne – considérées par Moscou comme «cobelligérantes», car livrant des armes à Kiev. «Comment comptabiliserons-nous les arsenaux stratégiques (de la France et de la Grande Bretagne), c’est-à-dire le potentiel de frappe total de l’Alliance?», a questionné Vladimir Poutine. C’est seulement après avoir «compris ce à quoi prétendent des pays de l’Otan comme la France et la Grande-Bretagne que nous pourrions reprendre les discussions (stratégiques)», a ajouté le chef du Kremlin en précisant qu’il s’agissait simplement à ce stade pour la Russie de «suspendre» sa participation au traité.
Mardi également, deux ou trois phrases concernant les échéances politiques en Russie auront retenu l’attention. «Les élections aux autorités locales et régionales de septembre de cette année ainsi que les élections présidentielles de 2024 se dérouleront dans le strict respect de la loi», a déclaré Poutine, qui achèvera alors son quatrième mandat. Il peut théoriquement, en cas de réélection, demeurer au pouvoir jusqu’en 2036. Certains observateurs ont d’ailleurs vu dans le discours de ce mardi l’amorce d’une campagne. Le chef du Kremlin a en effet longuement vanté la «résistance» d’une économie pleine d’«opportunités» et promis une longue liste d’aides sociales, donnant parfois l’impression étrange que la guerre n’était qu’un bruit de fond appelé à durer.
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