Correspondant à Jérusalem

C’est un secret que le gouvernement israélien a gardé le plus longtemps possible. Mais un communiqué a fini par rendre publique une information qui commençait à fuiter: «depuis plusieurs mois», une Israélienne est otage en Irak, retenue par une milice chiite, le Kataëb Hezbollah. Il s’agit d’Elizabeth Tsurkov, 36 ans, spécialiste du Moyen-Orient, doctorante à l’université de Princeton, aux États-Unis.

Arabophone, elle utilisait son passeport russe pour se rendre dans des pays interdits aux citoyens d’Israël, comme la Syrie ou l’Irak. Mais de rapides recherches sur internet, où son compte Twitter enregistre près de 80.000 abonnés, laissent peu de doute sur sa nationalité israélienne. L’hiver dernier, ses recherches l’avaient conduite à Bagdad où elle aurait été enlevée, en mars. Dans son communiqué, le gouvernement israélien affirme qu’Elizabeth Tsurkov «est toujours en vie, et nous tenons l’Irak pour responsable de sa sécurité et de son bien-être». Les deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques. Les États-Unis ont aussi reconnu être «au courant de l’enlèvement», tout en «s’en remettant aux autorités irakiennes pour commenter». Pour l’heure, ces dernières sont restées silencieuses. Selon Amwaj, un site d’information spécialisé dans la région, les services irakiens avaient déjà informé leurs homologues russes et américains des risques que prenait Elizabeth Tsurkov en restant sur place.

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Le Kataëb Hezbollah, la milice qui détient la jeune femme en otage, est listé comme terroriste par les États-Unis depuis 2009. Cette «brigade du parti de Dieu» a été créée en 2003, pendant la guerre d’Irak, pour se battre contre les troupes de la coalition conduite par les États-Unis. C’est un mouvement chiite qui compterait 7 000 membres et serait contrôlé par les gardiens de la révolution, en Iran. Bien qu’il tire son nom du Hezbollah libanais, il ne doit pas être confondu avec lui. D’après le site Amwaj, Elizabeth Tsurkov travaillait sur le Mouvement sadriste, dirigé par le leader chiite Moqtada al-Sadr. La chercheuse israélienne était en Irak pour interviewer des membres de cette organisation, rivale du Kataëb Hezbollah. Ce dernier, suppose le site, aurait pu voir en elle un agent du Mossad, les services de renseignements extérieurs israéliens. Israël a démenti l’appartenance de la jeune femme au Mossad.

Les liens du Kataëb Hezbollah avec Téhéran nourrissent la crainte que l’otage israélien soit transféré vers l’Iran. La République islamique est un soutien notoire des ennemis d’Israël, qu’ils soient chiites, comme le Hezbollah libanais, ou sunnites, comme les mouvements palestiniens du Djihad islamique ou du Hamas, le mouvement qui gouverne la bande de Gaza, où sont retenus depuis 2014 deux otages israéliens ainsi que les dépouilles de deux soldats de Tsahal. L’Iran, qui cherche par tous les moyens à déstabiliser son ennemi numéro un au Moyen-Orient, pourrait essayer de tirer un bénéfice de cet otage.

Pour Israël, cette situation complique le jeu dans la région. Le pays est en effet confronté à une multiplication des menaces, qu’elles proviennent de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ou des frontières syriennes et libanaises. Dans toutes ces régions plane l’ombre de l’Iran. «Je ne sais pas quelles seront les conséquences stratégiques de cette prise d’otage, tempère Yoel Guzansky, un chercheur à l’Institute for National Security Studies de l’université de Tel-Aviv, spécialiste des questions de sécurité dans les pays du golfe Persique. Mais je sais qu’au Proche-Orient le moindre petit événement peut avoir des conséquences globales.»

L’annonce de la prise d’otage d’Elizabeth Tsurkov signifie-t-elle que des négociations sont en cours? Israël, dont beaucoup de citoyens possèdent la nationalité russe, maintient des relations avec la Russie, qui s’est rapprochée de l’Iran depuis le début de la guerre en Ukraine. Un tel canal pourrait être utile dans des pourparlers.