Kiev

Volodymyr Zelensky avait dans un premier temps proposé une rencontre plus proche de la frontière polonaise, à Lviv. Joe Biden a finalement préféré tout ce qu’une visite à Kiev a de symbolique. Le président américain est arrivé en train, à 8 heures du matin, ce lundi. La guerre a rendu commun cet acheminement par voie ferrée d’un chef d’état étranger en Ukraine – Oleksandr Kamychine, le dirigeant des services ferroviaires ukrainiens, a surnommé ce trajet celui de la «diplomatie du fer».

Mais l’invité d’aujourd’hui reste exceptionnel: le premier soutien de l’Ukraine face à la Russie se rend à Kiev pour la première fois non seulement depuis le début de la guerre, mais depuis 2008. De plus, la date de venue est pour le moins notable: à l’aune de la première année de la guerre, ce 20 février marque aussi l’anniversaire de la révolution de Maïdan – en 2014, quand le président prorusse Ianoukovitch fut chassé du pouvoir.

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En ce jour, les mesures de sécurité ont été tout particulièrement renforcées dans la capitale ukrainienne. Toute la matinée, la circulation kiévienne se fige, au gré des passages du convoi de Biden et Zelensky. Dès l’aube, le quartier attenant au monastère Saint- Michel-au-Dôme-d’Or est complètement verrouillé, et il est impossible de passer les checkpoints. Deux jours auparavant, les riverains ont reçu la visite d’hommes armés, membres du SBU (les services secrets ukrainiens). Les téléphones furent inspectés et les listes de contacts épluchées – à la recherche d’un numéro russe potentiellement suspect. Autre mesure de précaution, mais non des moindres: quelques heures avant l’arrivée de Joe Biden en Ukraine, la Maison-Blanche a prévenu le Kremlin de cette venue, comme l’a affirmé le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan: «Nous avons bien prévenu les Russes que le président Biden voyagerait à Kiev. Nous l’avons fait quelques heures avant son départ.»

Au palais Mariinsky, siège de la présidence ukrainienne, Biden a confirmé son engagement aux côtés de l’Ukraine: «J’ai pensé qu’il était essentiel qu’il n’y ait aucun doute, aucun, sur le soutien américain à l’Ukraine dans la guerre. Je suis ici pour montrer notre soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la nation (ukrainienne).» Zelensky a remercié le président américain d’être venu au «moment le plus difficile», et a considéré que cet «échange nous rapproche de la victoire». Différentes annonces ont été faites par Biden: 500 millions de dollars d’armement, dont «des munitions d’artillerie, des Javelin et des radars», ainsi qu’un accroissement des sanctions à l’encontre de la Russie. Mais rien n’a été dit sur les avions de chasse nouvelle génération et les missiles longue portée que Kiev réclame depuis longtemps.

Le choix de Saint-Michel-au-Dôme-d’Or comme second lieu de visite n’est pas anodin. Outre le fait que le monastère est un lieu clos, facile à surveiller, il est aussi le siège de l’Église autocéphale orthodoxe d’Ukraine – qui a rompu avec celle de Moscou dès 2018. Alors que Biden et Zelensky sortent ensemble du monastère, une alarme aérienne se déclenche. Les deux présidents ne pressent pourtant pas le pas et se dirigent calmement vers les murs extérieurs de Saint-Michel. Sur des dizaines de mètres sont placardées des centaines de visages de soldats ukrainiens morts au combat. Le rugissement des sirènes est à peine couvert par les militaires ukrainiens qui jouent le «Taps» – la sonnerie militaire réservée aux funérailles des soldats américains. Deux gerbes de fleurs sont déposées au bas de portraits d’hommes morts, non depuis un an, mais depuis ce que les Ukrainiens considèrent comme le vrai début au conflit actuel: la guerre dans le Donbass en 2014. Avant de se quitter, Biden et Zelensky échangent une dernière accolade. Le président américain part pour son ambassade.

Peu à peu, policiers et militaires se dispersent. La vie normale revient autour du monastère. Deux catégories de passants se devinent: les curieux espérant voir ce que Biden a laissé et ceux venus avec leurs propres fleurs, des œillets qu’ils déposent en mémoire des morts pour l’Ukraine. L’immense majorité des Kiéviens avait prévu aujourd’hui de commémorer les «martyrs» de Maïdan et du Donbass. Mais la réception de Biden à Kiev a également pris des allures de funérailles. Mikhaïlov est un vétéran, et tient entre ses mains burinées des œillets. «Je suis venu rendre hommage. Je combats depuis le départ, depuis Maïdan. Face à ce Satan qu’est la Russie…» Il ajoute: «Oui, l’Amérique est notre alliée, mais l’Ukraine ne se bat pas que pour elle-même. Elle se bat pour que les chars russes ne roulent pas dans les rues de l’Occident. Nous avons besoin de plus d’armement encore.»

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Deux adolescents regardent la scène. De simples curieux, leurs mains sont vides. «Biden est le numéro un!», s’exclame Bogdan. Mais l’adolescent ajoute tout de même, à son tour: «On a encore besoin de plus d’armement…» Au loin, un homme agite une pancarte «F16 for Ukraine» ; un autre le prend par l’épaule puis chante l’hymne ukrainien. Ce mélange de gratitude et de désir de plus d’armement est systématique, toujours inspiré par l’idée que l’Ukraine se bat autant pour elle-même que pour l’Europe et l’Occident. Dès 14 heures, il est dit que Biden s’en retourne pour la Pologne, un pays que l’Otan a longtemps considéré comme son «flanc militaire oriental». Après la venue de Biden à Kiev, le flanc militaire oriental semble s’être définitivement déplacé un peu plus à l’est.