Depuis la mi-avril, la police kenyane mène des recherches dans la forêt de Shakahola au sud-est du Kenya après la découverte de corps de membres de l’Église Internationale de Bonne Nouvelle. Dans cette tragique affaire, les individus auraient pratiqué un jeûne extrême pour «rencontrer Jésus», sous la houlette d’un «pasteur» nommé Makenzie Nthenge.
Le macabre décompte s’amplifie au fur et à mesure des fouilles, atteignant 95 morts ce mercredi. Le bilan reste provisoire et les fouilles sont aujourd’hui suspendues car les morgues sont pleines. «Nous ne creuserons pas dans les deux prochains jours pour avoir le temps de mener les autopsies», a déclaré un officier du Directoire des enquêtes criminelles (DCI).
L’histoire commence le 13 avril, lorsque la police reçoit des informations faisant état de «citoyens ignorants morts de faim sous prétexte de rencontrer Jésus après avoir subi un lavage de cerveau par un suspect, Makenzie Nthenge, pasteur de l’Église Internationale de Bonne Nouvelle», dont le rapport a été présenté à l’AFP. Une autre information évoque de possibles fosses communes. Le lendemain, le pasteur s’est rendu à la police, il doit comparaître devant un tribunal le 2 mai. Depuis le début des opérations policières, le bilan des morts ne fait que s’alourdir avec des enfants pour principales victimes. «Nous avons exhumé en majorité des enfants, puis viennent les femmes», a confirmé l’officier du Directoire des enquêtes criminelles.
Les victimes sont des membres de l’Église Internationale de Bonne Nouvelle (Good News International Church), fondée en 2003 par Paul Mackenzie Nthenge. Ancien chauffeur de taxi dans les années 1990, il s’est autoproclamé «pasteur» en fondant ce mouvement religieux. La secte revendique plus de 3000 membres et des antennes dans plusieurs régions du Kenya. «La mission de ce ministère est de nourrir les fidèles de manière holistique dans tous les domaines de la spiritualité chrétienne alors que nous nous préparons à la seconde venue de Jésus-Christ par l’enseignement et l’évangélisation», pouvait-on lire sur leur site.
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Le gourou avait également lancé une chaîne YouTube en 2017 où il mettait en garde ses fidèles contre les pratiques «démoniaques» telles que le port de perruques et les transactions numériques sans argent liquide. Il avait été arrêté par deux fois la même année pour «radicalisation» après avoir prôné de ne pas mettre les enfants à l’école, et pour avoir entraîné la mort par la faim de deux enfants. Il avait été libéré contre une caution de 100.000 shillings kényans (environ 670 euros).
En 2019, le «pasteur» autoproclamé a décidé de fermer son Église en affirmant : «Jésus m’a dit que le travail qu’il m’a confié est terminé». Mais le chef charismatique aurait ensuite emmené ses fidèles dans une forêt voisine et les aurait convaincus de jeûner pour rencontrer Dieu.
Cette tragédie s’inscrit dans un phénomène plus large de développement de mouvements religieux marginaux dans cette zone de l’Afrique. Le ministre de l’Intérieur kenyan Kithure Kindiki a déclaré mardi : «Ce qui s’est passé à Shakahola est un tournant dans la manière dont le Kenya gère les menaces à la sécurité posées par les extrémistes religieux». Le président William Ruto a lui dénoncé l’œuvre de «terroristes».
Déjà en 1992, dans son livre L’Afrique des Guérisons, le prêtre jésuite Éric de Rosny explique ce phénomène de prospérité des Églises chrétiennes indépendantes en Afrique. Décrit à l’origine comme «une résistance mystique au pouvoir colonial et l’expression d’une foi originale», il date le premier mouvement religieux en 1862 au Ghana.
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Depuis, leur nombre a considérablement augmenté. Aucun bilan n’a récemment été publié mais Éric de Rosny présente différents chiffres tirés d’enquêtes réalisées dans les années 80. Au Ghana, on dénombre à cette période 500 mouvements religieux indépendants. Au Liberia, pour 235.000 personnes, il existe 500 lieux de culte, appartenant à une centaine de groupes religieux indépendants les uns des autres. Ces mouvements foisonnent particulièrement dans les régions à forte proportion protestante, comme le Ghana, le Nigeria, le Kenya, anciennes colonies britanniques. Ici, le principe théologique du libre arbitre issu du protestantisme favorise les initiatives séparatistes.
Pour ce qui est des victimes de l’Église Internationale de Bonne Nouvelle, le bilan pourrait encore s’alourdir. La Croix-Rouge kenyane a déclaré que plus de 200 personnes avaient été portées disparues. Kithure Kindiki a déclaré «Nous prions pour que Dieu les aide à surmonter le traumatisme, à se rétablir et à raconter comment, un jour, un Kenyan, un être humain, a décidé de blesser tant de gens, sans cœur, en se cachant sous les Saintes Écritures» .