Envoyé spécial à Jérusalem

Le scénario du pire s’est écrit, vendredi soir, dans le nord de la bande de Gaza. Dans la périphérie de Gaza Ville, les soldats israéliens ont tué trois des otages qu’ils devaient libérer. La nouvelle a stupéfié le pays, puis soulevé une sourde incompréhension alors que les détails des errements ayant conduit à ce drame se faisaient jour.

Deux des victimes, Yotam Haïm, 28 ans, et Alon Shamriz, 26 ans, avaient été enlevées au kibboutz Kfar Aza, le 7 octobre. Le troisième, Samer Fouad el-Talalka, un Bédouin, avait été capturé ce même jour dans une ferme près de Nir Am, où il travaillait. La manière dont le trio s’est libéré reste un mystère. On ignore si leurs ravisseurs les avaient abandonnés ou s’ils sont parvenus à prendre la fuite.

Seule certitude, ils ont été abattus alors qu’ils tentaient, comme ils le pouvaient, de s’identifier auprès de Tsahal. Selon l’armée israélienne, les trois hommes erraient dans Chajaya, un quartier de l’ouest de Gaza Ville, théâtre de combats particulièrement rudes ces derniers jours. Ils marchaient torse nu, drapeau blanc à la main, demandant de l’aide en hébreu, à la nuit tombante, le long de ce qui reste de rues dans cette zone intensément bombardée. Des tireurs, embusqués dans les étages, ont malgré tout ouvert le feu, tuant deux otages immédiatement. Le troisième est parvenu à prendre la fuite, selon les premières investigations. Il s’est alors réfugié dans un bâtiment. En dépit de ses appels au secours, toujours en hébreux, et de l’arrivée sur les lieux d’un officier supérieur, il sera tué lui aussi par les militaires alors qu’il tentait de nouveau de sortir.

D’après les premières conclusions de l’armée, les soldats ont redouté que les appels à l’aide ne soient en réalité une façon pour le Hamas de les attirer dans un piège. Leurs soupçons auraient été avivés par la découverte, deux jours auparavant, sur un bâtiment proche, d’une inscription: «Au secours! Trois otages.» Les services de Tsahal avaient dès lors marqué cet immeuble comme le site d’un possible guet-apens. Une enquête a été ouverte car ces éléments indiqueraient que les militaires impliqués n’auraient pas suivi les règles d’engagement.

Pour nombre d’analystes, la mort de ces trois hommes est surtout le signe des difficultés rencontrées par Tsahal ces derniers jours et d’une discipline au combat incertaine. Plusieurs ONG, notamment Human Rights Watch, ont souligné que, dans les zones urbaines, les règles d’engagement imposent qu’une personne soit clairement identifiée comme combattante avant de tirer. «Cela n’a pas été le cas. Cela reflète la tension extrême que vivent les combattants dans Gaza», souligne un officier qui préfère garder l’anonymat. Il est significatif que ce drame se soit noué à Chajaya, un des quartiers où les combats sont des plus âpres. Mardi dernier, neuf militaires y ont trouvé la mort, dont un colonel et cinq officiers, dans une embuscade complexe du Hamas. Dimanche, deux autres soldats sont tombés, portant à 121 les pertes subies par Tsahal, soit presque le double de l’opération de 2014 (66). «On ne peut pas comparer l’ampleur de cette guerre à celle de 2014, quand nos forces n’intervenaient pas à plus d’un kilomètre dans Gaza», explique Yaakov Amidor, un ancien général désormais conseiller pour le Jewish Institute for National Security of America (Jinsa). Il souligne que l’armée n’aurait «pas trouvé de solution pour les tunnels» qui permettent au Hamas de prendre les militaires à revers. À ce réseau tentaculaire, qui n’a fait que se renforcer ces dix dernières années, s’ajoutent comme atouts pour les miliciens islamistes une meilleure connaissance du terrain et un arsenal loin d’être négligeable. Ils disposent notamment de drones légers, de missiles antichars relativement modernes et de munitions abondantes.

Après deux mois d’offensive, l’objectif affiché, l’élimination complète du mouvement terroriste, semble loin d’être atteint. D’intenses combats secouent donc le nord de la bande de Gaza, mais aussi Khan Younes, dans le Sud. Malgré un pilonnage aérien jamais vu, qui a causé la mort de près de 19.000 civils, selon le ministère de la Santé du Hamas, les islamistes semblent parvenir à maintenir une sorte de cohérence et de stratégie qu’ils exposent dans des vidéos de propagande sur Telegram. L’avantage, écrasant, reste toutefois à Israël. «Le Hamas peut poster sa stratégie et ses tactiques, mais en principe il demeure un mouvement de guérilla», souligne Alexander Grinberg, du Jerusalem Institute for Strategy and Security.

Ces explications comme l’annonce d’une enquête n’ont nullement apaisé la colère des familles des quelque 130 personnes toujours séquestrées par le Hamas. Samedi soir, lors une grande manifestation à Tel-Aviv, les proches ont exigé à la tribune la fin des opérations militaires qui, selon eux, mettent en danger la vie des captifs, et la reprise des négociations pour une trêve. Une première pause, fin novembre, avait permis la libération de 110 personnes, essentiellement des femmes et des enfants. «Nous alertions depuis longtemps sur les risques. Les événements viennent hélas de nous donner raison», a déploré Noam Perry, dont le père est retenu à Gaza. Mais le choc de cette bavure a secoué bien au-delà de l’entourage des otages, poussant une partie du pays à s’interroger sur la stratégie suivie par le gouvernement. Dans son éditorial, dimanche, le grand quotidien de gauche Haaretz exigeait ainsi que «l’on tire les leçons» de ce «grave incident» et que «l’on change d’approche, à la fois en raison de la priorité qu’est la libération des otages et de la nature des combats dans la bande de Gaza».

Malgré tout, le premier ministre, Benyamin Netanyahou, n’a pas semblé, dans une intervention, samedi soir, vouloir modifier son cap et dévier de l’option armée. Lors de cette prise de parole tardive, plus d’une journée après les faits, il a affirmé vouloir «maintenir la pression militaire» sur le Hamas, tout en reconnaissant et en regrettant «une erreur» ainsi qu’une «insupportable tragédie». Les critiques acerbes sur son absence de discernement passée, sur sa conduite de cette guerre et sur son manque d’empathie envers les victimes, encore avivées par la mort des trois otages, pourraient le contraindre à une inflexion. Il a ainsi laissé entendre samedi qu’une initiative était en cours pour obtenir la libération des captifs. Sans en dire plus. Toutefois, selon l’agence de presse Wafa, David Barnea, le chef du Mossad – les services secrets extérieurs israéliens -, qui s’était vu interdire mercredi de se rendre au Qatar pour évoquer une seconde phase de trêve, aurait rencontré vendredi le premier ministre qatarien, Mohammed Ben Abdelrahman al-Thani, en Europe.

Le premier ministre israélien doit aussi composer, au moins en façade, avec la pression de plusieurs pays occidentaux. En visite dimanche en Israël, la ministre française des Affaires étrangères a appelé à une «nouvelle trêve immédiate et durable». De leur côté, l’Allemagne et le Grande-Bretagne ont demandé un «cessez-le-feu durable» dans une tribune publiée dans le Sunday Times. Les mots de David Cameron représentent un net changement de ligne pour Londres: «Notre but ne peut pas être un arrêt des combats aujourd’hui. Cela doit durer des jours, des années», écrit le chef de la diplomatie britannique. En réponse à la demande française, le ministre des Affaires étrangères israélien, Eli Cohen, a répété la position de son gouvernement, pour qui un cessez-le-feu n’est qu’un «cadeau pour le Hamas».