Avdiivka, qui comptait 30.000 habitants avant la guerre, n’est pas encore le champ de ruine de Bakhmout à 70 kilomètres au nord. Mais cette ville du Donbass, à 13 kilomètres de Donetsk, subit les tirs de plus en plus intenses de l’artillerie de l’armée russe. Cette dernière, aidée par les supplétifs «séparatistes», avance dans les villages alentour, Pervomaiske et Sieverne au sud surtout. Les Russes recherchent l’encerclement complet de ce saillant – un terme militaire qui désigne une avancée dans le dispositif adverse – qui est toujours relié aux arrières. Mais cet assaut, dont le début est estimé au 8 octobre, s’avère difficile. 900 soldats et 150 blindés ont été mis hors de combat, selon l’état-major ukrainien, qui a annoncé ce vendredi y avoir repoussé un dernier assaut de l’armée russe.
«Nos soldats tiennent fermement les lignes de défense», a-t-il poursuivi. Le maire de la ville, Vitaly Barabach, a tout de même reconnu, le 14 octobre, une situation «très tendue» car les Russes tentent d’«encercler la ville» avec «de plus en plus de troupes». L’Institute Study of War, dans son bulletin du 15 octobre, relevait que l’armée russe n’avait «pas encore réalisé de progrès supplémentaires dans un contexte de ralentissement probable du rythme des opérations russes dans la région». En sus, «les forces russes poursuivront probablement leurs opérations offensives à ce rythme réduit à court terme et resteront une menace pour les forces ukrainienne dans la région, même s’il est peu probable qu’elles réalisent une percée décisive ou un encerclement».
Avdiïvka était brièvement tombée en juillet 2014 aux mains des séparatistes prorusses soutenus et armés par Moscou, avant de revenir sous contrôle ukrainien. Depuis, elle marque la ligne de front dans cette zone et était déjà régulièrement bombardée avant même l’offensive russe en Ukraine en février 2022. Pour conquérir Avdiivka, la Russie et ses supplétifs séparatistes ont mené plusieurs tentatives dès le 20 février, quatre jours avant le déclenchement de «l’opération militaire spéciale» par Vladimir Poutine. Mais l’armée russe a mis les gros moyens depuis juillet dernier, en amenant des effectifs qui avaient été affectés à la conquête de Lyssytchansk, plus au nord dans le Donbass. Une décision qui n’avait pas été comprise à l’époque. La route de Kramatorsk (capitale ukrainienne de l’oblast de Donetsk depuis 2014, NDLR) et Sloviansk s’ouvrait à eux, mais ils ont préféré se concentrer sur le dégagement de Donetsk, et donc la prise d’Avdiivka.
Depuis, Avdiivka a été fortifié en règle par les Ukrainiens et demeure un point important du système de défense de Kiev sur la ligne de front. «C’est l’un des points les plus fortifiés du front. Une noix très dure à craquer», certifie Cédric Mas, historien militaire. Sa proximité géographique avec Donetsk, capitale de l’oblast annexé homonyme, la rend particulièrement stratégique pour les Russes. «Depuis le début de la guerre, l’armée russe a tenté de repousser les positions ukrainiennes des faubourgs de Donetsk. Ils y sont parvenus partout, sauf à Avdiivka, à cause des fortifications importantes», ajoute le général (2S) Olivier Kempf. Pour faire céder ce verrou, les forces du Kremlin entament un dispositif en tenaille qu’elles veulent refermer. Avec l’espoir que les Ukrainiens voyant les pinces se serrer évacuent la ville.
Pour le Kremlin, la prise d’Adviivka serait aussi un symbole politique. Elle assurerait la sécurité à Donetsk, bombardée régulièrement. «Pour la propagande russe, la ville est martyrisée par les Ukrainiens. En la protégeant, elle accréditerait son narratif de protection» des Ukrainiens, devenus russes après l’annexion, souligne Cédric Mas. La prise de la ville permettrait aussi de démontrer à la population que non seulement la contre-offensive ukrainienne est un échec, comme le répète la communication gouvernementale, mais que l’armée russe est capable de reprendre l’initiative dans certaines zones, malgré l’approche de la saison des boues. «Un succès russe serait utilisé comme la démonstration de l’échec ukrainien à percer les défenses de la ligne Sourovikine , qui court tout le long du front, mais aussi que les pertes infligées par cette contre-offensive n’ont pas déstabilisé l’armée russe», analyse Cédric Mas.
La saison des boues, la raspoutitsa, qui devrait arriver dans quelques semaines, compliquera les opérations blindées. Elles pourront reprendre avec l’hiver et le gel des sols. Mais pour l’Ukraine se posera une question : dans cet intermède, l’armée russe fera-t-elle comme à Bakhmout et enverra-t-elle des assauts infinis de fantassins sans égard pour les pertes ? Ou est-ce simplement une tentative de percée sur un front presque statique depuis novembre 2022 ?