«Il y a des personnes qui ne sont pas encore nées qui en seront les victimes». L’annonce américaine vendredi de l’envoi en Ukraine de bombes à sous-munitions a révolté les organisations humanitaires, qui rappellent l’impact de ces armes sur les civils. De nombreux gouvernements ont réagi, comme Londres qui a rappelé que le Royaume-Uni «décourageait» leur utilisation. Et aux États-Unis, la décision du président a été critiquée jusque dans son propre camp.

Ces bombes dispersent de façon indiscriminée et sur une zone supérieure à plusieurs terrains de football une multitude de petits explosifs, comme une pluie d’acier, dont une partie importante n’explose pas et s’enterre dans le sol. Apparues massivement pendant la seconde guerre mondiale, produits par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, ces dernières ont été utilisées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan, tout comme par Israël au Liban, en particulier face au Hezbollah en 2006. Que dit le droit de la guerre sur l’utilisation de ces armes ?

Si la guerre semble d’abord relever du rapport de force, elle est encadrée, théoriquement, par le droit qui a pour ambition de limiter sa violence. Autrefois relevant de la coutume et de la morale chrétienne, le droit de la guerre ou droit international humanitaire, s’est largement étoffé au cours du XXème siècle. Les prisonniers de guerre doivent être respectés, les civils épargnés, et certaines armes sont proscrites. Armes chimiques, mines antipersonnelles… et armes à sous-munitions.

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Très controversées, ces armes à sous-munitions ont fait l’objet d’une convention récente et spécifique qui en interdit leur production, leur stockage, leur vente et leur utilisation. Le traité de la convention, établi à Oslo en 2008, est entré en vigueur en 2010. Il relève que les armes à sous-munitions «tuent ou mutilent des civils, y compris des femmes et des enfants, entravent le développement (…), font obstacle à la réhabilitation et la reconstruction post-conflit, retardent ou empêchent le retour des réfugiés et des personnes déplacées (…) pendant de nombreuses années».

«Ce traité ne fait qu’exprimer une répugnance vis-à-vis de ces armes qui portent atteinte aux grands principes généraux du droit des conflits armés», explique le spécialiste du droit international humanitaire David Cumin. «Elles arrosent des zones entières et ne ciblent pas donc elles remettent en cause la distinction entre combattants et non combattants. Parfois, les billes n’explosent pas donc il y a une atteinte au principe de sécurité de l’environnement et au principe de distinction entre guerre et paix. Enfin, elle cause des blessures très spéciales, difficilement réparables qui portent atteinte au principe d’humanité», résume le spécialiste.

En violation du droit international humanitaire, ces armes à sous-munitions frappent indistinctement civils et militaires. Les experts affirment qu’entre 5 et 40% des sous-munitions n’explosent pas à l’impact et peuvent ainsi rester dans le sol pendant des décennies. «C’est une peine de mort pour les civils sur le long terme. Il y a des personnes qui ne sont pas encore nées qui en seront les victimes», a notamment dénoncé Baptiste Chapuis, de l’organisation Handicap International – Humanity and Inclusion (HI).

Aujourd’hui, 29 pays ou zones dans le monde sont connus ou soupçonnés d’être contaminés par des explosifs non déclenchés liés aux armes à sous-munitions, dont dix États parties de la convention d’Oslo, tenus par des obligations de déminage, précisait en 2022 un document du Cluster Munition Monitor, qui rassemble plusieurs ONG spécialisées sur la question. Dans les premiers de ce triste classement, le Cambodge reste l’un des pays les plus minés au monde trente ans après la fin de la guerre civile. Environ 20.000 Cambodgiens ont été tués au cours des quatre dernières décennies après avoir marché sur des mines ou munitions non explosées.

Mais le traité d’Oslo a été signé par un total de 123 pays, à l’exception notable de pays comme Israël ou la Chine, mais surtout des grands protagonistes de la guerre en Ukraine que sont la Russie, les États-Unis et l’Ukraine elle-même. D’ailleurs, des armes à sous-munitions auraient déjà été utilisées dans le conflit comme le notait en août 2022 le Cluster Munition Monitor et en l’occurrence par l’armée russe.

En résumé, rien conventionnellement n’empêche donc les États-Unis de livrer à l’Ukraine des armes à sous-munitions ni à l’Ukraine d’employer les armes livrées. Mais l’emploi de ces armes est contraire aux plus importants principes généraux du droit des conflits armés. «C’est toute l’ambiguïté de cette arme affreuse», résume David Cumin. «On ne pourra poursuivre les utilisateurs et les fournisseurs car il faut un traité pour interdire une arme, en revanche, on pourra poursuivre pour les effets de l’usage de l’arme», explique-t-il aussi.

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Les belligérants doivent donc prendre toutes les précautions, et s’exposent, à de nouvelles accusations réciproques et, plus grave, une nouvelle escalade. La Russie a d’ailleurs estimé samedi que la livraison de bombes à sous-munitions à l’Ukraine décidée par les États-Unis était un «aveu de faiblesse» qui rendra Washington «complice» des morts civiles provoquées par cette arme controversée.