Envoyée spéciale à Bratislava (Slovaquie)

C’est la première fois qu’un président français venait parler au Globsec, la principale enceinte d’Europe centrale pour les questions de sécurité européenne. Sa visite était donc hautement symbolique, en raison du passif d’Emmanuel Macron dans la région. Depuis le début de la guerre, sa volonté de «ne pas humilier la Russie», de lui offrir des «garanties de sécurité», le dialogue qu’il a trop longtemps maintenu avec Vladimir Poutine, malgré l’absence de résultats, avaient rendu la politique étrangère de la France illisible. L’ambiguïté de la politique russe du président français avait aussi contrecarré son ambition de devenir le leader incontesté de l’Union européenne. Le discours de Bratislava a remis les pendules à l’heure en clarifiant les positions d’Emmanuel Macron.

À bien des égards, les mots prononcés devant les dirigeants d’Europe centrale et orientale sont historiques. «Il n’y a qu’une seule Europe», a affirmé Emmanuel Macron, se félicitant du «retour» des pays de l’Est dans la famille européenne à la chute du communisme. Il a évoqué «l’Occident kidnappé» de Milan Kundera et promis que ni l’Occident ni l’Europe ne seraient «kidnappés» une seconde fois. Mais il a surtout, lui qui d’ordinaire ne se déjuge jamais, fait un mea culpa fort attendu vis-à-vis des pays de l’Est qui ont vécu l’occupation soviétique dans leur chair. «Nous n’avons pas toujours entendu cette voix que vous portez», a-t-il reconnu. Faisant une allusion directe à Jacques Chirac, qui, critiquant leur soutien à la guerre américaine en Irak en 2003, avait affirmé que ces pays avaient «perdu une occasion de se taire», il a concédé avec humilité: «Nous avons perdu une occasion de vous écouter.» Ce fut une mise au point salutaire pour ces pays qui n’avaient jamais oublié le mépris avec lequel ils avaient été traités. À Bratislava, la voix française n’était soudain plus la même. «Vous pouvez compter sur la France. Elle a parfois été perçue comme arrogante ou ne s’intéressant pas à cette région. Assumons ensemble ce que doit être notre Europe, une grande puissance démocratique.»

Les propos se sont aussi clarifiés sur l’Ukraine. Regrettant le manque de cohérence avec lequel l’Europe avait traité la région avant l’invasion russe, Emmanuel Macron a promis que l’Ukraine «ne sera pas conquise». Le temps n’est plus à une paix de compromis entre Moscou et Kiev. «Il ne peut y avoir qu’une seule paix, celle qui est choisie par le peuple ukrainien» a-t-il affirmé, rejetant toute idée de «cessez-le-feu» ou de «conflit gelé», qui ne ferait qu’alimenter de nouvelles guerres. «Il faut nous préparer à ce que ce conflit dure et il nous faut nous préparer à soutenir l’Ukraine dans la durée». C’est-à-dire à lui fournir les garanties de sécurité nécessaires.

À lire aussiMacron choisit la stratégie de la saturation médiatique

Sur ce terrain aussi, la guerre a changé le président français. En 2008, la France, avec l’Allemagne, avait mis son veto à l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Otan. «À l’époque nous n’avons pas su apporter une réponse européenne. Nous avons provoqué la vindicte russe sans donner des garanties suffisantes à ces pays», reconnaît-il. Aujourd’hui, alors que l’agression russe a fait de l’Ukraine «un acteur majeur», Emmanuel Macron cite le diplomate américain Henry Kissinger, qui après y avoir été très opposé, défend aujourd’hui l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. «Je partage sa vision. Il faut donner des garanties de sécurité tangibles et crédibles à l’Ukraine», même s’il sait aussi que le manque d’unanimité sur le sujet rend l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan au prochain sommet de Vilnius «irréaliste». Au moins cette fois, la France ne sera pas le pays qui bloque le rapprochement vers l’Alliance atlantique…

Mais il faut aussi préparer l’avenir de l’Europe dans un monde où la géographie de la Russie «ne changera pas» et où la prochaine Administration américaine ne sera pas forcément en phase avec les choix européens. «Je veux écarter tous les fantasmes: je ne veux pas remplacer l’Otan pas un condominium franco-allemand», a-t-il dit devant un public qui a souvent soupçonné la France d’œuvrer à l’affaiblissement de l’Alliance atlantique.

La guerre russe en Ukraine a donné raison à la vision française d’une Europe stratégique. Elle a poussé les pays européens à augmenter leurs budgets de défense et à réfléchir sur une nouvelle organisation de la sécurité du continent. «L’autonomie stratégique d’Emmanuel Macron était un rêve. Nous en avons fait la réalité», résume Olha Stefanichyna, vice-première ministre ukrainienne. «La souveraineté n’est plus une lubie française», se félicite le président. Il appelle ses partenaires à accélérer la construction d’une capacité européenne plus souveraine. Tout en travaillant main dans la main avec les États-Unis, la résilience européenne, prévient-il, doit continuer à se construire, notamment aux niveaux militaire et industriel. Il en va, pense-t-il, de «l’avenir de notre continent».