27 janvier 2023. Le Suédo-Danois d’extrême droite Rasmus Paludan brûle un Coran devant une mosquée de Copenhague, puis devant l’ambassade de Turquie. Le geste provoque la fureur d’Ankara et de nombreuses capitales du monde musulman. Plusieurs manifestations ont lieu au Pakistan et en Afghanistan, rassemblant des dizaines de milliers de personnes. En Irak, des manifestants tentent d’assaillir l’ambassade danoise à Bagdad.

En réaction à ces événements, le gouvernement danois présente, le 25 août dernier, un projet de loi visant à interdire les autodafés de livres religieux, et notamment du Coran. Très controversé, il a été modifié fin octobre et doit être examiné ce mardi 14 novembre au Parlement.

L’objectif principal de ce texte est d’interdire «le traitement inapproprié d’écritures à signification religieuse importante pour une communauté religieuse». En d’autres termes, il s’agit d’empêcher la profanation matérielle, par autodafé ou encore par piétinement, d’un Coran, d’une Bible ou d’une Torah. Cependant, il est précisé que les œuvres d’art religieuses telles que les croix ou les ménorahs ne seront pas couvertes par l’interdiction. En outre, le blasphème «verbal ou écrit», notamment les caricatures, ne sera pas concerné par cette loi, d’après les autorités danoises qui n’ont pas donné plus de précisions.

Des experts juridiques avaient repéré une «anomalie» dans la première version du texte, qui laissait penser que quiconque exprimait son soutien à un autodafé serait aussi puni pénalement. Le projet de loi modifié précise dorénavant que le fait de tolérer un «traitement inapproprié des écritures religieuses», ne constituera pas une infraction pénale. Enfin, le texte de loi se limite aux communautés religieuses qui sont reconnues par l’État (les confessions chrétiennes – catholiques, luthériens, méthodistes, baptistes, orthodoxes – juives et musulmanes). Dans sa première version, le texte souhaitait inclure les communautés religieuses non reconnues.

Le projet de loi prévoit des peines allant jusqu’à deux ans de prison. Cependant, le gouvernement propose que la première infraction soit punie d’une amende. Les autorités danoises entendent inclure cette loi dans le chapitre 12 du Code pénal consacré à la sécurité nationale.

Le projet de loi a été reçu très froidement par la population danoise. De multiples voix se sont élevées contre une loi qui «laisse tomber son pays et son peuple», selon Marie Hogh, chroniqueuse pour le quotidien danois de tendance libérale Jyllands-Posten qui s’était fait connaître pour la controverse après la publication des caricatures de Mahomet en 2005-2006. Elle ajoute même que ce projet de loi est «un pas dans la bonne direction pour la propagation de la charia et un pas en arrière pour une société libre et démocratique».

Le gouvernement danois assure toutefois qu’il n’est pas question de réactiver littéralement le délit de blasphème, abrogé il y a six ans. En juin 2017, les députés du royaume s’étaient prononcés majoritairement en faveur de la suppression de l’article 140 du Code pénal, adopté en 1866. Cet article 140 s’opposait aux directives des Nations unies et du Conseil de l’Europe, qui considèrent les lois sur le blasphème comme une entrave à la liberté d’expression.

C’est l’affaire des caricatures de Mahomet qui avait relancé le débat sur la légitimité de l’article 140. Le Danemark avait été pris dans l’une des plus graves crises de son histoire contemporaine, avec la publication de douze caricatures du prophète Mahomet dans les pages du Jyllands-Posten. Ces caricatures avaient déclenché un raz-de-marée de protestations dans le monde arabo-musulman. Plusieurs milliers de musulmans avaient manifesté et onze ambassadeurs de pays musulmans avaient demandé à être reçus par le premier ministre danois, qui a refusé leurs requêtes. Le parquet général danois avait été saisi, mais avait estimé que les douze dessins du prophète Mahomet, ne constituaient pas un blasphème.

Le projet de loi présenté fin août, en plus de rappeler des mauvais souvenirs, est perçu par de nombreux médias danois comme «ambiguë». Pierre Collignon, rédacteur en chef du quotidien de centre droit Berlingske , soulève la question de la liberté des artistes. «Désormais, les représentations artistiques échappent à l’interdiction si l’action inappropriée qui peut y être incluse constitue une partie mineure de l’œuvre. Mais quand est-ce une part plus petite ?», interroge-t-il. Dans un éditorial plus tranchant, le Jyllands-Posten affirme que «le gouvernement se contorsionne» pour tenter d’éviter d’«admettre qu’il se plie – ce qui est tout à fait inédit – aux exigences de puissances étrangères sur des questions qui touchent à la structure de la législation danoise».