Près de 2000 kilomètres au nord-est de Moscou, juste au-dessus du cercle polaire arctique, la nouvelle prison d’Alexeï Navalny se perd au milieu de centaines de kilomètres de toundra d’un côté et des montagnes glaciales de l’Oural de l’autre. La «colonie pénitentiaire numéro 3» située dans la petite localité de Kharp, dans la Sibérie occidentale, est aussi surnommée «Loup polaire».

«Je vais bien. Je suis soulagé d’être enfin arrivé», a affirmé Alexeï Navalny, dont les propos ont été rapportés par son entourage sur les réseaux sociaux. Après avoir été condamné pour «extrémisme», l’opposant et ennemi numéro 1 de Vladimir Poutine Alexeï Navalny avait disparu début décembre de sa prison près de Moscou pour un transfèrement «discret» de 20 jours vers ce nouvel établissement.

Hérité du Goulag soviétique, le système pénitentiaire russe, qui a peu évolué, en a conservé les camps et le travail forcé. Fondée au début des années 1960 sur l’ancien 501ème Goulag, la colonie 3 peut accueillir près de 1000 personnes. Elle est réputée pour ses conditions de détention extrêmement difficile. Les températures ne dépassent jamais les -10°C en hiver, et pourraient d’ailleurs atteindre -28°C lundi prochain. À cette saison, la lumière du jour ne dure pas plus de deux heures.

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Selon le prononcé de sa condamnation, Alexeï Navalny doit purger une peine d’emprisonnement de 19 ans, en «régime spécial». Si la colonie numéro 3 ne reçoit a priori pas de prisonniers de ce type, une autre colonie à Kharp, numérotée 18 et surnommée «Hibou polaire» possède un quartier pour les régimes spéciaux.

«Je suis dans un bon état d’esprit, tel un Père Noël», a ajouté Alexeï Navalny, faisant référence à sa «barbe» qui a poussé pendant ce long trajet ainsi qu’à ses nouveaux habits d’hiver adaptés aux températures polaires. Un de ses proches collaborateurs, Ivan Jdanov, a déclaré que cette fameuse colonie numéro 3 était «l’une des colonies les plus septentrionales et les plus éloignées» de Russie, où les conditions sont «difficiles».

Le média indépendant Vyorstka a rapporté que les prisonniers y souffraient de maltraitance, manquant de vêtements et de produits essentiels, et subissaient des violences physiques et psychologiques. L’un d’entre eux a accusé les gardiens de torture, rapporte de son côté le média russe pro-gouvernement Life . «Lorsque les prisonniers entrent dans la colonie, ils sont emmenés aux bains publics. Lorsqu’une personne se déshabille et va se laver, l’eau est coupée et des personnes masquées entrent et commencent à la battre. Avec moi, cela a duré environ une demi-heure. Il y avait environ 15 personnes, prisonniers et employés», a affirmé le détenu dont les propos ont été rapportés par le site d’information. Les autorités judiciaires russes ont plusieurs fois pointé du doigt les manquements sanitaires de cette colonie pénitentiaire. Le procureur de la région a révélé dans un audit l’été dernier «des violations de la législation pénale».

«Les quelques améliorations matérielles n’ont pas changé la logique militaire et avilissante propre au système pénitentiaire [russe] depuis trente ans», expliquait récemment le cofondateur du Réseau européen de contentieux pénitentiaire Hugues de Suremain au Monde diplomatique , expliquant que les améliorations tenaient surtout à la diminution du nombre de prisonniers en Russie ces dernières années, accélérée de manière spectaculaire avec la guerre en Ukraine.

Alors que le nombre de détenus s’élevait à 420.000 en février 2022, ils seraient en effet aujourd’hui 266.000, selon les chiffres révélés par le vice-ministre de la Justice Vsevolod Vukolov lors d’une table ronde au mois d’octobre. Les forces armées russes ont recruté des prisonniers pour la guerre.

Selon son entourage, Navalny aurait été envoyé dans cette nouvelle prison pour un isolement «maximal» à l’approche de l’élection présidentielle russe. «Je pense que Navalny a été envoyé jusqu’ici précisément pour assurer cet isolement physique maximum possible, donc même faire un voyage là-bas serait un problème», a notamment déclaré le défenseur des droits humains Igor Kalyapine au Moscow Times.