Ces images, sidérantes, ont fait le tour des réseaux sociaux tout le long du week-end. À l’aube, samedi 7 octobre, des terroristes du Hamas attaquent le poste-frontière d’Erez. Des roquettes sont tirées sur le mur de béton, entrouvrant un passage, puis sur la clôture de fer, haute de plusieurs mètres.
Ailleurs, c’est un bulldozer qui ouvre un passage, détruisant simplement l’immense grillage fortifié qui sépare la bande Gaza d’Israël. Des combattants des brigades Ezzeddine al-Qassam munis d’armes d’assaut franchissent la barrière par dizaines. En parallèle, le Hamas tirait plus de 5000 roquettes sur le territoire israélien, et d’autres commandos terroristes s’envolaient en deltaplanes pour franchir la frontière par le ciel.
Le «mur de fer» aurait pourtant dû être infranchissable. Inaugurée en 2021 après trois années de coûteuse construction, la fortification a été présentée par les autorités comme «unique au monde», avec de solides arguments. Longue de 65 kilomètres, la fortification est composée d’un mur et d’une clôture qui ont nécessité 140.000 tonnes de fer et d’acier. Financé à plus d’un milliard de dollars, le «mur de fer» est aussi un condensé d’innovation technologique, truffé de multiples radars et autres capteurs, notamment en profondeur dans le sol.
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Le rempart est en effet pourvu d’une partie souterraine en béton, d’un mètre d’épaisseur, et vraisemblablement de plusieurs dizaines de mètres de profondeurs, comme constatait Le Figaro lors d’un reportage pendant sa construction. L’objectif affiché était d’empêcher toute tentative d’intrusion via le creusement de tunnels depuis la bande de Gaza. L’État hébreu impose en effet depuis 2007 un blocus de ce territoire palestinien, contrôlé depuis cette date par le Hamas. Le mur est doté en plus de systèmes d’arme contrôlés à distance ainsi que des systèmes radars. «Cette barrière fait partie du ’mur de fer’ de notre politique de défense, au sol, dans les airs, en mer et en général», déclarait le général Aviv Kokhavi, chef d’État-major d’Israël lors de son inauguration.
Et la construction du mur a été décidée après la guerre de l’été 2014, avec un consensus quasi unanime contrairement au mur en Cisjordanie. Durant ce conflit de 52 jours, lors duquel plus de 2100 Palestiniens et 73 Israéliens ont été tués, les habitants des kibboutz frontaliers avaient vécu dans la crainte de voir surgir des tunnels percés sous la frontière des combattants ennemis. À plusieurs reprises, des commandos du Hamas avaient réalisé ainsi des raids meurtriers, convainquant l’État hébreu de lancer l’opération «Bordure protectrice» pour détruire, selon les annonces officielles, plus de 32 tunnels.
«Les Israéliens ont choisi de construire une barrière de sécurité classique initialement surveillée par des patrouilles autonomes de robots et de drones, mais finalement, Tsahal a jugé plus efficace de compter sur des forces de réaction prêtes à intervenir rapidement», détaille l’historien Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques*.
Cette barrière, «projet technologiquement avancé et innovant», «donnera aux citoyens israéliens un sentiment de sécurité», assurait l’ancien ministre de la Défense Benny Gantz en 2021 dans un communiqué. D’après ce même communiqué, la barrière compte aussi une portion en mer «reliée à un système d’armement contrôlé à distance».
L’État hébreu a également construit une barrière composée par endroits de larges sections bétonnées pour séparer son sol de la Cisjordanie, un autre territoire palestinien occupé depuis 1967 par l’armée israélienne. Un autre mur, cette fois en acier, a été construit par Israël sur sa frontière avec l’Égypte. Ce qui avait fait dire au général Eran Ofir qui a dirigé la construction que le mur autour de Gaza était «l’un des projets les plus complexes jamais réalisés» pour la défense du pays.
Mais visiblement, tout cet harnachement défensif n’a pas suffi à empêcher un franchissement de la frontière. «Les dirigeants du pays croyaient avoir trouvé la solution en créant une frontière hermétique grâce à un mur et des grillages barbelés. Mais ils découvrent que c’était en réalité une ligne Maginot…», a notamment expliqué le directeur de la revue de géopolitique The National Interest Jacob Heilbrunn dans L’Express.
Avec des armes peu sophistiquées, les combattants du Hamas ont réussi à franchir le mur. «Ils ont d’abord neutralisé les caméras et les dispositifs de surveillance pour rendre aveugle et sourd l’État-major israélien, puis ils se sont emparés des points de contrôle et sont passés par des points de passages latéraux créés par Tsahal pour lui permettre de mener des incursions dans Gaza», explique aussi Pierre Razoux. «Le Hamas a aussi creusé de nouveaux tunnels, en forme de petits boyaux de plusieurs centaines de mètres voire kilomètres, suffisants pour permettre à un groupe de combat de franchir la frontière».
En parallèle, la défense israélienne a été mise à mal par le nombre de roquettes tirées par le Hamas, saturant le «Dôme de fer», système développé en 2006 pour protéger le ciel des tirs venus de Gaza. Celui-ci permet d’abattre en vol des engins d’une portée allant jusqu’à 70 km, de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques, par temps de pluie, de nuages bas ou de brouillard. Et s’il obtient un taux de réussite de 90%, selon son constructeur, il n’a pu donc stopper les milliers de roquettes envoyées ce week-end contre Israël.
Malgré la défense de fer de l’Etat hébreu, Israël a donc été surpris, laissant le temps aux terroristes du Hamas d’emporter une centaine d’otages israéliens. «Nous sommes devenus trop dépendants de la très sophistiquée barrière souterraine, trop dépendant de la technologie. Nous nous sommes convaincus que cela dissuadait et effrayait le Hamas», a aussi rapporté un officier de réserve dans les colonnes du quotidien israélien Haaretz.
*Pierre Razoux est l’auteur de Tsahal : Nouvelle histoire de l’armée israélienne, aux éditions Perrin.