Correspondante à Bruxelles

Un sommet à très haut risque a lieu ce jeudi à Bruxelles. La réunion des Vingt-Sept sera quasiment exclusivement consacrée au soutien financier et militaire de l’UE à l’Ukraine. À la clé, 50 milliards d’euros d’aide financière pour Kiev (17 milliards de dons et 33 milliards de prêts). Et une énième promesse que l’Europe continuera à fournir des armes.

L’Ukraine est pourtant à bout de souffle. Sur le champ de bataille, les soldats manquent d’armes et de munitions. Le soutien se grippe aussi des deux côtés de l’Atlantique. L’enveloppe de 61 milliards de dollars promise par le président Joe Biden est bloquée par le Congrès. Le Chancelier Olaf Scholz se rendra d’ailleurs à Washington au cours de la première quinzaine de février. «Il y va pour convaincre les Américains de continuer à soutenir l’Ukraine. C’est l’angoisse du payeur en dernier ressort», ironise un diplomate européen. Sur le million d’obus promis il y a un an, les Européens n’en ont fourni que 330.000. Le manque de liquidités de l’État ukrainien se fera cruellement ressentir très bientôt, début mars, selon le Fonds monétaire international. Dans une note publiée le 25 janvier, le centre de stratégie économique, un think-tank indépendant basé à Kiev, indique que ce pays «n’a encore reçu aucune aide financière étrangère depuis le début de l’année 2024».

Dans ce contexte, les Européens n’ont pas le droit à l’échec. Ce serait un cadeau de plus au président russe Vladimir Poutine. Seulement voilà, Viktor Orban menace à nouveau de torpiller la réunion. Un premier sommet avait échoué mi-décembre du fait du veto du premier ministre hongrois, à la fois proche de Vladimir Poutine et de Donald Trump qu’il souhaite voir revenir à la Maison-Blanche en 2025. Les «Vingt-Six» pensaient qu’un mois et demi suffirait à faire entendre raison à l’homme fort de Budapest. Il faut, disaient-ils, lui donner du temps après son pseudo feu vert sur le coup d’envoi des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Dans une parade inédite, Orban était sorti de la pièce pour laisser les «Vingt-Six» voter. «Je ne peux pas faire ça en plus. J’ai déjà tout donné sur l’adhésion», avait-il ensuite expliqué à Charles Michel, pour justifier son refus d’aller de l’avant. Mercredi, alors qu’une majorité de dirigeants devaient se retrouver en fin d’après-midi au siège de la Commission pour rendre un dernier hommage à Jacques Delors puis partager un dîner au Conseil, la situation était toujours bloquée. S’il accepte désormais que l’argent promis au président Zelensky soit intégré au budget européen – et donc en partie financé par la Hongrie -, Viktor Orban souhaite aussi que ces 50 milliards d’euros décaissés sur quatre ans fasse l’objet d’un vote chaque année à… l’unanimité. Ce qui lui donnerait d’autres possibilités d’utiliser son veto à l’avenir. À la place de ce vote annuel, ils proposent à Orban d’organiser un débat annuel entre eux sur la mise en œuvre de l’aide financière à l’Ukraine, mais sans donner de possibilité de veto. Cette solution «est clairement une main tendue à la Hongrie», affirme un diplomate européen.

À mesure que les discussions d’avant-sommet s’enlisaient, le ton à l’égard d’Orban s’est considérablement durci, des deux côtés de l’Atlantique. D’autant que la Hongrie n’a toujours pas ratifié l’adhésion de la Suède à l’Otan, en dépit des promesses selon lesquelles son pays ne serait pas le dernier. Il l’est depuis que la Turquie a franchi les étapes. «Je suis préoccupé par le comportement hongrois. Je ne comprends vraiment pas comment un pays comme la Hongrie, qui dépend économiquement de son adhésion à l’UE, et pour sa sécurité de son adhésion à l’Otan, peut exploiter la situation à son propre bénéfice, et prendre en otage l’Ukraine dans une bataille interne à l’UE», confiait mardi à quelques journalistes l’ancien secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen.

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De son côté, Bruxelles a agité à dessein les risques que ferait peser sur l’économie hongroise un nouveau veto. Il a été question d’activer l’article 7.2 du traité de l’UE qui peut aboutir à priver un pays de son droit de vote. Dans une note relayée par le FT et rédigée par un fonctionnaire de l’UE, il a été question de ne pas verser à la Hongrie l’argent promis à Budapest que retient toujours la Commission en raison des brèches que connaît le pays sur l’État de droit. Une option immédiatement balayée par nombre de diplomates et de hauts fonctionnaires de l’UE mais qui a fait reculer la monnaie hongroise de 0,7 % par rapport à l’euro lundi.

Contre-productive, cette fuite a permis au premier ministre hongrois de dénoncer haut et fort dans Le Point «le chantage politique» de l’UE sur l’État de droit. Si Viktor Orban maintient son veto lors de la réunion des Vingt-Sept, l’UE sera en mesure de débloquer une aide d’urgence de 18 milliards d’euros de prêt, permettant à l’Ukraine de faire face à moyen terme, sans lui donner la prévisibilité à long terme promise par l’UE. Dans ce cas, les Européens seront confrontés à un vrai problème politique. Comment gérer le dirigeant hongrois, qui doit, en outre, prendre la présidence du Conseil de l’UE au deuxième semestre? En décembre, Emmanuel Macron avait pris les devants. «J’attends de Viktor Orban dans les prochains mois qu’étant respecté, ses intérêts légitimes étant pris en compte, il se comporte en Européen et ne prenne pas en otage nos avancées politiques.