Florent Parmentier est docteur en Science politique, secrétaire général du CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po Paris, et chercheur associé au Centre de géopolitique d’HEC. Il est l’auteur, avec Josette Durrieu, de La Moldavie à la croisée des mondes (Éditions Non Lieu, 2019).

LE FIGARO. – Les autorités séparatistes de la Transnistrie ont demandé ce mercredi à Moscou des «mesures de protection » . Certains observateurs soulignent que Poutine avait déjà pris prétexte d’un appel des rebelles prorusses de l’est de l’Ukraine pour lancer son offensive il y a deux ans. Faut-il donc s’attendre à ce que Moscou tente d’annexer la Transnistrie ?

FLORENT PARMENTIER. – Jamais les relations entre Moscou et la Moldavie n’ont été aussi dégradées depuis la courte guerre de 1992, qui avait débouché sur l’autonomie de la Transnistrie. Mais il faut distinguer les intentions affichées des capacités. Tiraspol et Moscou savent pertinemment que la Russie n’a pas les moyens d’annexer la Transnistrie. Je rappelle qu’il n’y a que 1500 soldats russes présents sur place. Surtout, la Moldavie n’a pas de frontière commune avec la Russie. L’armée russe est à plus de 200 kilomètres au Nord, à Kherson. Moscou n’aurait donc aucun moyen d’approvisionner cette région en hommes. N’oublions pas que le 24 février 2022, lorsque Poutine a attaqué l’Ukraine, rien n’a bougé en Transnistrie.

La diplomatie russe a répondu qu’elle allait «examiner avec attention» la demande de Tiraspol. Si Moscou n’a pas de velléités belliqueuses, quelles sont ses intentions ?

À moyen terme, la Douma (le parlement russe – NDLR) pourrait faire un premier pas en reconnaissant pour la forme l’indépendance de la Transnistrie, mais sans que Vladimir Poutine ne la proclame. Ce serait une manière de mettre la pression sur la Moldavie, où des élections se tiendront en novembre prochain, tout en conservant le statu quo. Cela fait trente ans que Moscou utilise Tiraspol pour exercer un chantage sur la Moldavie. En l’occurrence, Maia Sandu brigue un second mandat et souhaite clairement intégrer l’UE. Le message de Moscou est donc le suivant : «Si vous continuez avec Maia Sandu, nous reconnaîtrons l’indépendance de la Transnistrie.» Comme en 2008, lorsque le président Medvedev avait fini par reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.

Mais dans l’immédiat, l’objectif de Tiraspol et de Moscou est de rassurer l’opinion publique et les élites de Transnistrie. L’économie et la sécurité de cette petite entité séparatiste ont été fragilisées par l’invasion de l’Ukraine. On en appelle donc au grand protecteur russe, pour calmer l’angoisse sociale. En d’autres termes, Moscou tente de reprendre la main sur le plan diplomatique, à défaut de pouvoir le faire militairement.

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En quoi la guerre d’Ukraine a-t-elle affaibli la Transnistrie ?

Avant l’Ukraine, les choses étaient relativement simples. Tiraspol s’appuyait sur Moscou pour sa sécurité et sur l’Ukraine pour son économie. L’accès au port d’Odessa lui offrait en effet une porte d’entrée vers le marché européen. Une sorte de double jeu très profitable pour la Transnistrie. Depuis l’attaque des Russes, l’accès au marché européen s’est compliqué. Depuis 1992, le discours séparatiste s’appuie sur l’argument selon lequel la Transnistrie est plus industrialisée que le reste de la Moldavie. Mais plus Chisinau se rapproche de l’UE, plus son économie se développe, tandis que la Transnistrie est de plus en plus à l’écart. L’économie est vraiment une clé de compréhension importante de la situation.

Mais l’inquiétude est aussi d’ordre sécuritaire, puisque l’armée russe est accaparée par la guerre d’Ukraine. À plusieurs reprises, l’entourage de Zelensky a même proposé à Chisinau de les débarrasser des prorusses de Tiraspol.

Et pourtant, vous semblez persuadé qu’un conflit armé n’est pas pour demain…

Les Moldaves ont compris que la solution à ce problème ne pouvait pas être militaire. Depuis la guerre de 1992, il n’y a pas eu un mort, pas un coup de feu entre Chisinau et Tiraspol. Les Moldaves entendent continuer ainsi. Ils ont donc opposé une fin de non-recevoir aux propositions de Kiev. En réalité, il n’y a que très peu d’hostilité entre les habitants de la Moldavie et ceux de la Transnistrie. J’aime à rappeler que le club de football de Tiraspol dépend de la ligue moldave, il a même été sacré champion l’année dernière ! Cet exemple n’est pas futile, il est révélateur.

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En attaquant l’Ukraine, la Russie l’a poussée dans les bras de l’UE et de l’OTAN. Les philippiques de Moscou avec la Transnistrie ne risquent-elles pas de conduire aux mêmes effets ?

Nous aurons la réponse à cette question lors des élections de novembre prochain en Moldavie. Si Maia Sandu est reconduite, ce qui est en bonne voie, les conséquences pourraient effectivement être, à terme, l’intégration de la Moldavie dans l’UE. En réalité, la difficulté pour Maia Sandu sera moins d’être élue présidente que d’obtenir une majorité. Nul doute que Vladimir Poutine suivra de près les résultats de ce scrutin !