Le monopole de l’UEFA dans l’organisation des compétitions internationales pourrait être mis à mal par la Cour de justice européenne, appelée à trancher jeudi le conflit autour du projet de Super Ligue.

L’issue de la procédure européenne pourrait ouvrir la possibilité aux clubs les plus puissants, qui rêvent du modèle très lucratif des ligues fermées nord-américaines, d’organiser leur propre compétition sans risquer de sanction de la part de l’UEFA.

En avril 2021, douze grands d’Europe (le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Atletico Madrid, Manchester United, Manchester City, Chelsea, Arsenal, Tottenham, Liverpool, la Juventus, l’Inter et AC Milan) avaient donné leur accord de principe pour lancer un projet de Super Ligue fermée.

Face au tollé général, notamment des supporters anglais, et surtout aux menaces de lourdes sanctions brandies par l’UEFA et la Fifa, le projet s’était rapidement dégonflé.

Au point qu’il ne reste aujourd’hui que deux mutins: le Real et le Barça associés dans une European Super League Company (ESLC). Soutenue par l’agence de marketing A22, cette entité a porté l’affaire devant le tribunal de commerce de la capitale espagnole, qui a à son tour saisi la CJUE.

La Cour siégeant à Luxembourg répondra essentiellement à une question : en soumettant tout tournoi en Europe à son autorisation, et en prévoyant des sanctions contre clubs et joueurs qui défieraient son autorité, l’UEFA «abuse-t-elle de sa position dominante» ?

L’avis de l’avocat général de la Cour, Athanasios Rantos, a de quoi inciter la confédération européenne à l’optimisme, puisqu’il estimait en décembre 2022 que les règles posées par l’UEFA étaient «compatibles avec le droit de la concurrence» de l’Union européenne.

Mais si ses conclusions sont fréquemment suivies, elles n’engagent pas la CJUE. Et chaque nuance de l’arrêt sera importante pour le football de clubs.

Les frondeurs sont défendus par le cabinet d’avocats Dupont-Hissel, à l’origine du célèbre arrêt Bosman ayant consacré en 1995 la liberté de circulation des joueurs au sein de l’UE et fait sauter les «quotas de nationalité».

Le cabinet conseil nourrit sur ce nouveau sujet explosif de vrais espoirs: à défaut d’une «révolution», au moins «une évolution spectaculaire».

28 ans après l’arrêt Bosman

La CJUE devra dire si les mesures anti-frondeurs de l’UEFA poursuivent des «objectifs légitimes» et sont «proportionnées».

La première question pose peu de difficultés, puisque les traités européens protègent explicitement le «modèle sportif» continental, reposant sur un système de promotion-relégation et sur une redistribution partielle des recettes pour financer le sport de masse.

Mais il restera à déterminer quelles mesures apparaissent «proportionnées» pour protéger ce modèle: sanctions financières contre les clubs mutins ? Représailles contre leurs joueurs au point de les exclure des compétitions internationales, comme Fifa et UEFA l’avaient envisagé en avril 2021, sanction jugée excessive l’an dernier par l’avocat général Rantos ?

Pour le Real et le Barça, l’affaire est limpide. En menaçant de lourdes sanctions les joueurs et les clubs qui auraient pris part à cette Super Ligue, l’UEFA, de même que la Fifa, sont juges et parties et ont abusé de leur situation de monopole. Ce que les traités européens interdisent.

Alors, davantage d’indépendance pour les clubs ou statu quo ? L’avenir du foot européen se joue en partie ce jeudi au terme de 17 mois de procédure et 28 ans quasi jour pour jour après l’arrêt Bosman.

Même sport, même juridiction, même avocat: les parallèles entre les deux affaires sont évidents.

Mais là où l’arrêt Bosman avait uniquement modifié la marché des transferts, le dossier Super Ligue – au nom de code C-333/21 – touche lui à l’ensemble de la chaîne de production du football.