Une blessure qui perdure. En 2015, Stuart Lancaster est sélectionneur de l’Angleterre qui dispute «sa» Coupe du monde à domicile. Et qui se prend violemment les pieds dans le tapis. Éliminée dès le premier tour après des revers contre le pays de Galles et l’Australie. Une première pour un pays organisateur. Et donc un coupable tout trouvé : Lancaster qui quitte son poste «par consentement mutuel» avec la puissante Fédération anglaise (RFU).

Huit ans après, il regarde cet épisode avec philosophie. «Les gens se souviennent du pic et de la fin d’un événement, raconte le technicien de 54 ans. Si vous allez à un parc d’attractions, que vous faites la queue toute la journée et qu’il fait chaud, mais que vous faites la meilleure des montagnes russes à la fin et que vous mangez une glace après, vous vous direz « quelle super journée ! » Parce que le pic de la journée et sa fin ont été positives. À l’inverse, si votre journée se termine mal malgré des choses positives auparavant, vous allez dire « quelle sale journée… »»

Malgré cet échec retentissant, ce véritable accident industriel pour le rugby anglais, le technicien préfère retenir le positif. «L’exemple que je viens de donner s’applique aussi dans le sport. Les gens se souviennent de la chose finale… Je me souviens de ma première année à la tête de l’Angleterre, on était venus s’imposer à Paris, on a gagné ensuite quatre ou cinq matchs du Tournoi, on avait battu les All Blacks. Je me souviens que la fin de mon passage à la tête de l’Angleterre a été une déception, mais c’est une période de ma vie que j’ai aimée», confie Stuart Lancaster.

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Et de reconnaître : «Bien sûr que c’est toujours dur de ne pas accomplir ce dont on rêvait. On avait lancé un grand nombre de jeunes joueurs, on pratiquait un bon rugby. Je préfère me dire que, sans cela, je n’aurais jamais pu avoir l’opportunité d’aller au Leinster et d’y rester pendant sept ans. C’est arrivé au bon moment.» Avec la province de Dublin, il va se reconstruire, gagner la Champions Cup en 2018. Mais son image est écornée, entachée par cet échec.

Les médias britanniques ne lui pardonnent pas, même des années après. Ce qu’il reconnaît : «Quand la presse te prend en grippe, à cause notamment des résultats, elle arrête de voir ce que tu as fait de bien. Elle se focalise uniquement sur le mauvais. C’est très dur de faire changer la narration des choses… Cela arrive beaucoup dans le sport en Angleterre quand les médias se mettent à ne voir que le négatif. Et c’est dur pour un entraîneur et ses joueurs de continuer à avancer. Et c’est dur pour les familles aussi. Ça m’a fait du bien d’aller en Irlande, dans un environnement où l’on ne retient que les bonnes choses.»

Selon lui, l’échec de l’Angleterre en 2015 est à rapprocher de celui du XV de France lors de la dernière Coupe du monde. «La génération d’Antoine Dupont est encore très jeune, avance-t-il. Cela avait été pareil après 2015 avec les Farrell, Ford, Vunipola, Marler, Watson… Tous ces joueurs avaient eu leur première sélection quand j’étais là. On voit où ils en sont aujourd’hui.» Quatre ans plus tard, Eddie Jones avait su faire fructifier cet héritage et le XV de la Rose s’était hissé jusqu’en finale, seulement battu par l’Afrique du Sud. Et de disputer les demi-finales en 2023. «Cela demande beaucoup de courage de donner une première sélection à un jeune joueur. Il faut les accompagner, les soutenir, les protéger quand c’est dur. Je suis fier d’avoir permis à ce groupe de joueurs d’avoir émergé.»