LE FIGARO : Êtes-vous de plus en plus inquiet à propos des critiques envers l’arbitrage ? Nigel OWENS : Je suis inquiet car ce ne sont plus des critiques. Ces dernières se sont transformées en menaces de mort, en insultes. Tout ça n’est pas acceptable. Nulle part. Après, quand vous êtes arbitre, vous êtes forcément critiqués. Cela fait partie du jeu. Mais avec l’apparition des réseaux sociaux, cette transformation a pris une ampleur considérable. Beaucoup se cachent derrière de faux noms, de faux comptes. Même si je suis dessus, je pointe vraiment du doigt les réseaux sociaux. Maintenant, on est obligé de faire avec ça.
Avez-vous vécu la même situation lorsque vous étiez arbitre ou trouvez-vous qu’elle a changé par rapport à avant ?C’était la même chose. Me concernant, c’était pire car j’étais gay. J’en recevais probablement plus que la normale. Je n’étais pas critiqué seulement parce que j’étais arbitre mais pour mon orientation sexuelle. J’ai reçu des menaces de mort, des messages de haine, des lettres à mon domicile, des appels téléphoniques anonymes… C’était la même chose finalement. Le plus dur c’est que je devais faire comme si de rien n’était.
Est-ce « un phénomène » éphémère ou est-ce qu’au contraire, pensez-vous que cela va s’accentuer ?Les critiques envers l’arbitrage ont toujours existé ! Des coaches, des supporteurs et des joueurs pas d’accord avec certaines décisions, ça existera toujours ! Le souci, c’est que maintenant, le rugby est devenu trop technique. Tout le monde veut une décision unique et parfaite. Mais ce n’est pas possible ! Les arbitres ont beaucoup de plus de pression. Et surtout, pas mal d’anciens joueurs ou entraîneurs, avec de belles carrières et reconvertis comme consultants, critiquent les décisions arbitrales. Ça n’aide pas non plus.
Vous êtes sans doute au courant de la décision de Tom Foley (arbitre vidéo de la finale de Coupe du monde), qui a décidé d’arrêter sa carrière après des menaces de mort à son égard. Qu’en pensez-vous ?C’est vraiment triste de voir qu’un arbitre est obligé d’arrêter sa carrière à cause des menaces qu’on a pu lui faire. Comme je le disais, si on n’accepte pas la critique, mieux vaut ne pas faire arbitre. Là, les limites ont été dépassées. Quand vous commencez à trembler pour votre sécurité et pour la santé de votre famille… Ce n’est pas la peine d’insister. Tout ça est très triste.
En 2020, vous avez annoncé la fin de votre carrière d’arbitre. Avec du recul et en analysant le rugby actuel, êtes-vous heureux d’avoir arrêté ?Je suis heureux de l’avoir prise, oui. J’ai mon âge (52 ans), j’ai fait mon temps et j’ai donné ce que j’avais à donner. C’était le bon moment pour m’arrêter. Je savais que, derrière, beaucoup de travail m’attendait avec ma ferme agricole. Mais je ne suis pas heureux d’avoir arrêté à cause des critiques, juste parce que je n’avais plus le temps pour tout ça. Je suis très heureux dans ma vie actuelle.