Il y a de nombreux sentiments mêlés, c’est un aboutissement, mais c’est aussi le début de quelque chose. On arrive enfin au débutCartes postales. Un train de sénateur pour un défilé majestueux. Après douze jours de traversée depuis le port du Pirée, le Belema pointé son nez au large de Marseille un peu après 8 heures, ce mercredi. Prêt à se laisser emporter par la foule et une folle journée, en tournant le dos à l’intimité. Pour une parade grandiose, escortée par plus de mille embarcations. Une chorégraphie millimétrée, pour une myriade de coques accompagnées par une météo souriante et un mistral complice qui avait éprouvé le besoin de reprendre son souffle. « Marseillefière d’accueillir la flamme olympique », annonçaient des panneaux sur le Vieux-Port. La lumière, la chaleur et la passion étaient encore vives quand, au terme d’une journée particulière, festive, estivale, insouciante, le Belem, après avoir paradé le long des rades sud et nord, longé les plages, pris la pose face aux jardins du Pharo, a fait une entrée théâtrale dans le Vieux-Port à 19 heures au son de la corne de brume. Accompagné d’un tifo géant de plusieurs centaines de mètres carrés et de fumigènes brandis par le groupe de supporteurs de l’OM les South Winners.
Sortie de la lanterne, la flamme a allumé la torche tendue par Florent Manaudou, le nageur, le premier relayeur en France, encadré par les jeunes éclaireurs. Juste avant un spectaculaire feu d’artifice et La Marseillaise, entonnée par le ténor marseillais Naestro. La Patrouille de France a salué l’événement avec trois tableaux, notamment en dessinant les anneaux olympiques. Sous les regards du président de la République et de nombreuses personnalités, le célèbre trois-mâts s’est amarré à une piste d’athlétisme d’une centaine de mètres, clin d’œil à celle de 156 mètres qui avait été déployée sur la Seine entre le pont Alexandre-III et celui des Invalides, en juin 2017, à l’occasion d’une journée olympique qui, à quelques semaines de l’attribution des Jeux, avait déployé la créativité de Thierry Reboul, le directeur exécutif des cérémonies, et fait naître la curiosité des spectateurs.
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Le thème musical officiel des Jeux de Paris 2024, intitulé Parade, signé par Victor Le Masne et exceptionnellement interprété par l’Orchestre de Marseille a retenti depuis le palais du Pharo. À quai, le célèbre trois-mâts a laissé s’échapper Florent Manaudou qui, à pas lents, a transmis la torche à Nantenin Keïta, athlète multimédaillée aux Jeux paralympiques. Avant l’embrasement symbolique du chaudron par le rappeur Jul.
Temps fort d’une journée inoubliable (conclue par un concert d’Alonzo et Soprano sur une scène flottante), qui a mobilisé les énergies et les attentions, qui a rassemblé une foule considérable sur le Vieux-Port de Marseille (avec des spectateurs dans les bateaux, accrochés aux balcons, perchés sur les terrasses) pour vivre le retour de la flamme olympique en France. « La première journée de la flamme était importante, on avait envie de la réussir, de mettre à l’honneur Marseille. On avait envie que les Français se disent “Waouh, c’était beau, on est fiers de ce que ce pays est capable de faire.” Cela contribue au succès global qu’on veut de ces Jeux. Quand on fait de l’événementiel à l’extérieur, la réussite et l’expérience sont liées à la météo. J’ai regardé les sites de météo plusieurs fois par jour durant la dernière semaine. On sait combien cela a un impact. On l’aurait fait sous la pluie, mais on est plutôt content qu’il ait fait beau. Et on a fait ce qu’il fallait pour que le reste se passe bien. Bien sûr que c’est compliqué, quand on veut faire des choses audacieuses, on bouscule, ça nécessite de temps en temps de se battre, les premières réponses ne sont pas toujours positives, parce que, quand on veut faire des choses qui n’ont jamais été faites, il y a de la réticence. On prend des risques. À Marseille, comme ailleurs, ils ont fait confiance à notre envie forte de faire des choses inédites. À Marseille, comme ailleurs, on n’a pas reculé sur grand-chose », a souri Tony Estanguet, le président de Paris 2024.
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Mardi soir, la Patrouille de France avait, le temps d’une répétition, traversé le ciel aux couleurs de miel de Marseille. Le Vieux-Port, briqué depuis plusieurs jours, et ses bateaux inspectés dans les moindres recoins, avaient suivi la scène avec curiosité, conscients de l’imminence d’un événement avec l’installation de murs d’enceintes, d’écrans géants, de barrières imposantes pour ceinturer un site passé au peigne fin, protégé par un vaste dispositif de forces de l’ordre (plus conséquent que lors de la visite du pape François en septembre 2023). Le Vieux-Port, qui se souvenait avec émotion des jours de fêtes de 2013 pour célébrer la capitale européenne de la culture, des heures de liesse ayant suivi le sacre européen de l’OM en 1993 ou de la fièvre ayant accompagné le dernier titre de champion de France du club phocéen en 2010, était sur son 31 pour accueillir la flamme.
Marseille, après Olympie et Athènes, hôte symbolique. Pierre-Olivier Beckers, président de la commission de coordination du CIO, impressionné, a souligné : « Marseille est ce fil rouge entre Athènes et une ville emblématique de la France fondée par des Grecs il y a 2600 ans, il n’y a pas beaucoup de pays qui peuvent se l’offrir. Marseille est au rendez-vous. Je ne m’attendais pas à ça, cette ferveur incroyable. Cela montre que le slogan “Ouvrons grand les Jeux” était d’une justesse parfaite, assurons-nous que toutes les couches de population, jeunes moins jeunes, que toutes les couches socio-économiques puissent en profiter d’une manière ou d’une autre. On voit que les gens en profitent. Après des éditions de Tokyo (Jeux d’été 2021) et de Pékin (Jeux d’hiver 2022) sans spectateurs (en raison du Covid-19), sans fête, les gens ont envie de fêter quelque chose, surtout dans le monde compliqué d’aujourd’hui. C’est un choix qui s’imposait. Une ville extraordinaire qui montre son enthousiasme, avec des valeurs d’excellence, de respect, d’inclusion dont on a tellement besoin. »
Emue, Marie-José Pérec, triple championne olympique, a résumé : « Les Jeux, c’est ma vie, les Jeux, c’est ma jeunesse. Les Jeux, c’est beaucoup d’émotion. Avec un petit Zodiac on est allés à la rencontre du Belem, l’émotion et beaucoup d’images me sont venues en tête, ça m’a donné la chair de poule. Et là, je me suis dit “ce n’est pas toi qui feras les Jeux”. Les athlètes vont vivre un truc de dingue. Quand j’y pense, je me dis que ce sera plus grand que tout ce que j’ai vécu, parce que c’est à la maison. Nos athlètes vont faire quelque chose de grand, de beau. On sera derrière eux. Ça va les pousser. Pour faire les plus beaux Jeux. Avoir les plus beaux Jeux en France. Et cela démarre sur le Vieux-Port, c’est magique. On va vivre de grands Jeux. »
Thierry Rey, conseiller spécial de Paris 2024, a soufflé : « C’est extraordinaire. Il y a de nombreux sentiments mêlés, c’est un aboutissement, mais c’est aussi le début de quelque chose. On arrive enfin au début, c’est cela qui est dingue, après tout ce chemin parcouru. On est tous très heureux de voir que cela va démarrer. Il y a beaucoup de Français et de Françaises qui vont pouvoir enfin voir ce que sont les Jeux olympiques (26 juillet-11 août) et les Jeux paralympiques (28 août-8 septembre), avec ce moment de la flamme qui va leur appartenir. La flamme, c’est le premier pilier des Jeux, dans une grande fête populaire qui va faire rayonner nos territoires. C’est un moment libérateur. La flamme est un événement qui a une destination participative pour embarquer les gens, parce que les Jeux se passeront en Île-de-France, à Paris, en Seine-Saint-Denis, mais aussi en France, avec le foot, la voile, le hand, le basket… c’est une manière de célébrer les Jeux au plus près de la population. »
Heureux d’avoir fait un pas de plus vers la cérémonie d’ouverture, le 26 juillet, Tony Estanguet imagine la suite, éclairée par le relais de la flamme et assure : « Il y a cette collaboration forte entre le mouvement sportif et les acteurs publics locaux qui doivent travailler ensemble pour que chaque journée mette à l’honneur un territoire, mette à l’honneur des sportifs et des personnalités françaises. C’est dans cet état d’esprit qu’on va travailler jusqu’aux Jeux. Car on continue à préparer toutes les compétitions, c’est la priorité. J’étais lundi à Versailles, dimanche au stade Yves-du-Manoir où on avait un “test event”, je suis aussi passé au Centre aquatique olympique pour une compétition de natation artistique, les équipes sont pleinement mobilisées sur chacun des sites, ça avance bien, on a pour l’instant de bons indicateurs. On continue la préparation. »
D’une cérémonie sur l’eau à une autre, Pierre-Olivier Beckers glisse : « Je garde mes yeux d’observateur. La confiance va décupler pour la population française, donner envie de faire partie de la fête à Paris et dans les autres villes, dans les infrastructures sportives, sur les places. Avec la fête à Marseille, il y avait un enjeu très important pour l’ensemble des forces de sécurité, à commencer par le ministre de l’Intérieur. »
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La carte des Jeux a été lancée ce mercredi sur l’application et le site officiel de Paris 2024, afin de connaître les opportunités de vivre ces Jeux au plus près de chez soi. Le projet des Jeux est, le temps d’une journée baignée de soleil, sorti des bureaux, des cartons, des réunions et des cellules de réflexion pour passer à l’action. Les enjeux à venir restent colossaux. Après la livraison des sites, le recrutement des volontaires, le succès des inscriptions du marathon pour tous, les enjeux sont à présent d’ordre économiques, pour rester dans les clous du budget annoncé ; sociaux, pour faire face à la contestation des « anti-JO » (une dizaine d’organisations ont manifesté à Marseille en marge de l’arrivée du Belem) ; et enfin populaires, en espérant faire naître l’élan, avant le défi sportif et les médailles qui doivent venir couronner l’aventure.
Ce jeudi, Marseille lancera le relais de la flamme (12.000 km, avec plus de 400 villes à traverser). Basile Boli sera le premier relayeur à Notre-Dame de la Garde. À la fin de la journée, Didier Drogba s’avancera comme le dernier. Marseille pourra laisser alors filer les Jeux et se brancher sur la demi-finale retour de Ligue Europa de l’OM à Bergame. Avec l’espoir d’une nouvelle finale. Et en tête le souvenir de la flamme…