Vendredi 1er décembre. Une barque des Jeux olympiques 2024 brise du corail à Tahiti ! Les réseaux sociaux s’enflamment lorsqu’une embarcation utilisée pour la construction de la nouvelle tour des juges de l’épreuve de surf, censée remplacer l’ancienne tour en bois, arrache du corail. La vague de Tehuapoo (du nom de la commune sur la presqu’île de Tahiti) est une des plus belles vagues du monde. «Il faut savoir sortir de la vague avant de se faire brosser par le récif» témoigne Pierre Sasal, directeur du CRIOBE (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement), centre de recherche du CNRS de l’École Pratique des Hautes Études et de l’Université de Perpignan situé en Polynésie française depuis plus de 50 ans.

Contacté par le Figaro, l’IFREMER de Polynésie tout près du site (Institut Français de Recherche pour l’exploitation de la MER) n’a pas répondu à nos sollicitations. Les vidéos et images de ce récif corallien laissent rêveur face à cette biodiversité en tout genre : coraux, poissons de toutes les couleurs, éponges et algues. C’était sans compter sur le projet de la nouvelle tour des juges. Samedi 2 décembre, le président de la Polynésie française a mis un arrêt à cette construction. Contactée par le Figaro, Natacha Kalasa – du service presse de Paris 2024 – assure que «le Président Brotherson et ses équipes sont extrêmement mobilisés pour que les épreuves de surf des Jeux Olympiques puissent bien se tenir à Teahupo’o » Quelle est l’analyse scientifique de l’impact de cette tour ? L’enquête réalisée par Le Figaro amène à se demander si le problème n’est pas ailleurs.

De l’aveu de Natacha Kalasa, «un premier test a été organisé vendredi dernier (1er décembre). Ce test, piloté par le Gouvernement Polynésien, et auquel ont assisté des représentants d’associations locales, ne s’est pas révélé concluant ; des patates de corail ont en effet été abîmées au passage de la barge, comme l’ont montré des vidéos réalisées par les représentants des associations. Nous déplorons collectivement que des patates de corail aient été endommagées à l’occasion de ce test ». Mais Natacha Kalasa promet que «le prochain test de cheminement sera opéré avec une barge aux dimensions réduites». La profondeur du lagon est faible, environ 2 mètres au niveau des fondations de l’ancienne tour des juges. Ainsi, le tirant d’eau (hauteur de la partie immergée d’une embarcation) doit être adapté pour ne pas arracher les coraux qui ont mis des dizaines d’années à se construire.

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Pourquoi l’ancienne tour des juges en bois ne peut pas continuer à être exploitée ? Natacha Kalasa répond au Figaro : «le Président Brotherson a également rappelé que l’ancienne tour en bois ne pouvait plus être utilisée ; on ne peut mettre des vies en danger sur une tour qui ne répond pas aux règles de sécurité les plus élémentaires». Le bureau d’études Véritas missionné publie ses conclusions le 14 novembre 2023 : «notre avis technique est défavorable sur la solidité de la tour en bois et des fondations existantes dans son état actuel». Plusieurs solutions existent : améliorer l’ancienne tour ou en faire une nouvelle. La solution retenue par Paris 2024 est de faire une nouvelle tour des juges. On ne détaillera pas ici les raisons de ce choix (qui sont consultables ici). Les associations locales mobilisées contre le projet ont reçu des documents techniques sur la construction de cette nouvelle tour. Contacté par le Figaro, Paris 2024 n’a pas souhaité nous transmettre ces documents techniques, le laboratoire polynésien CRIOBE n’y a pas non plus eu accès. Tentons d’évaluer l’impact environnemental de ce choix.

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Le Figaro a pu consulter Pierre Sasal, directeur et chercheur du laboratoire CRIOBE du CNRS, expert du récif corallien, afin d’évaluer la pertinence de ce projet : « on sait que la construction de cette nouvelle tour va avoir un impact environnemental notamment avec des câbles sous-marins, la construction d’évacuation de toilettes. Cela aura un impact sur le récif ». Néanmoins pour le chercheur « on sait faire de la restauration récifale comme du bouturage de corail, ce sont des mesures compensatoires et ce serait peut-être l’occasion, pendant les JO de montrer notre savoir-faire en Polynésie ». Le chercheur Pierre Sasal précise que Paris 2024 a fait un appel à un bureau d’études pour analyser la situation et ajoute : «je n’ai pas de doute sur la qualité de l’étude environnementale menée par le bureau d’études (Creocean). En réalité, l’emprise sur le lagon est limitée, la tour occupe quelques dizaines de mètres carrés, le lagon en fait des milliers». Néanmoins les coraux sont des bijoux locaux : qui accepterait de voir casser des bijoux qui sont dans la famille depuis des générations ?

Natacha Kalasa précise que « dans ces conditions, il convient de travailler sur des solutions qui permettront de mettre en place la nouvelle tour, réduite en taille et allégée, dont le principe a été collectivement adopté ». Néanmoins, la notion de collectif employée dans la communication des organisateurs des JO semble ne pas concerner tout le monde… «Bien que la population soit majoritairement favorable aux JO en Polynésie, il n’y a pas eu de concertation sociétale pour présenter le projet. Toutes les associations de surfeurs, pécheurs et résidents n’ont sans doute pas été consultées convenablement, elles manifestent aujourd’hui » témoigne Pierre Sasal. Le chercheur précise que son laboratoire, le CRIOBE, dispose de chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales, le laboratoire sait faire des enquêtes auprès de la population. « Comme tout le monde, les Tahitiens aiment se réunir pour parler, il faut leur présenter le projet avec le pour et le contre. Ils sont capables d’avoir un avis éclairé si on leur présente clairement tous les éléments ».

Dans son propos, le chercheur explicite la prise de décision collective, celle qui associe le pouvoir public (représenté par le comité des J.O.P. et les cabinets d’études associés), les scientifiques dans différentes disciplines (des sciences du vivant aux sciences humaines et sociales) et enfin les populations (habitants, surfeurs, pêcheurs). Le chercheur ajoute que «s’il avait fait ça mieux (Paris 2024), ce serait passé comme une lettre à la poste, malgré l’impact environnemental, car nous savons faire des mesures compensatoires». On comprend que la concertation tripartite n’a pas été totalement mise à profit pour faire évoluer le projet. Cependant ce dimanche, «le Président Moetai Brotherson a réuni une large majorité d’acteurs qui saluent ce projet. Cette réunion a duré 5 heures» rapporte Tony Estanguet qui «salue l’initiative formidable de revenir en toute transparence sur l’évolution de ce dossier».

Cependant la consultation sera bien lancée, mais en 2024 comme le rapporte Natacha Kalasa, «toujours dans un esprit de transparence, des réunions publiques mensuelles seront organisées à Teahupo’o à compter de janvier 2024. Un bureau d’information “Jeux Olympiques” sera également ouvert avec des représentants du Gouvernement polynésien, un bureau d’étude environnemental, une antenne du Comité du Tourisme de Taiarapu-Ouest et de Paris 2024 pour informer et répondre aux questions des habitants et des acteurs locaux». Le chercheur Pierre Sasal invite à se questionner sur les coûts environnementaux et les bénéfices des JO qui attireront le regard sur l’archipel.

Pierre Sasal soumet une nouvelle idée à la réflexion de Paris 2024 : «actuellement, les juges regardent les compétiteurs avec des jumelles depuis la tour des juges. Les compétiteurs passent à plusieurs sur la même vague ce qui rend complexe l’observation de l’ensemble des athlètes. Pourquoi ne pas imaginer de filmer l’épreuve avec des drones ? On fait des choses hallucinantes avec les drones : les vidéos seraient retransmises en temps réel aux juges dans une salle sur la plage». Cette proposition est aussi soutenue le vendredi 8 décembre par Pascal Blanchard, historien et essayiste, sur Arte dans l’émission 28 minutes présentée par notre confrère Renaud Dély.

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Au-delà de la tour, d’autres questions se posent sur le site, comme la construction en cours de nouvelles routes et d’habitations. Pour le chercheur Pierre Sasal : «Après avoir appris l’arrivée des JO, certains Polynésiens ont construit des bungalows pour accueillir les touristes qui vont affluer. D’ailleurs certaines équipes de surf se sont d’ores et déjà installées sur place, pour s’entraîner sur la vague avant les JO».

En pleine COP 28 interrogeons-nous aussi sur ces récifs coralliens. Pour Pierre Sasal, «il est évident que la tour des juges est un est épiphénomène, à l’heure où le changement climatique augmente le blanchissement massif sur les coraux (la mort du corail), la fréquence des cyclones qui perturbent les récifs coralliens, et la présence des étoiles de mer mangeuses de corail en Polynésie ». Ces problématiques seront sans nul doute au cœur du colloque scientifique sur les coraux, «le Paris des récifs» du 12 au 15 décembre.