À Marcoussis

Dans quel état avez-vous retrouvé vos joueurs au début du Tournoi ?Fabien Galthié : Avant ce Tournoi, nous avions vécu ce quart de finale perdu d’un point, le 14 octobre. Il s’est ensuite passé plusieurs mois. À l’échelle du temps du XV de France, on a l’impression de se trouver juste après la dislocation du groupe. L’histoire s’écrit en continu, même s’il s’est passé trois mois. On a reconstitué un premier cercle, autour du passé, du présent et du futur. On a travaillé à partir de décembre. Il fallait accepter, dépasser, s’engager sur une nouvelle histoire. Avec notre staff, nous avions retrouvé notre pleine puissance. Quand nous avons accueilli les joueurs, on s’est donné deux jours pour voir où les joueurs en étaient. Quand on a projeté les images, Thomas Ramos a dit : «Quand on a vu les images, ça nous fait mal.» C’était six semaines plus tard. Les joueurs n’avaient pas fait ce travail de digestion. Le deuxième point, entre la Coupe du monde et ce rendez-vous, les joueurs avaient pris de la masse grasse et perdu de la masse maigre. Il leur avait manqué une partie pour se régénérer. Pourquoi avoir reconduit cette équipe contre l’Irlande, hormis les forfaits sur blessés ? Comment l’expliquer à des joueurs qui ont fait un match exceptionnel en quart ? Il y a des décisions arbitrales litigieuses, nous en avons parlé avec l’arbitre Ben O’Keeffe. Aucun joueur ne pouvait être sanctionné d’une sortie de groupe. On a décidé de reconstruire la même équipe. Un match que vous jouez à 14, il est détruit. On a eu deux matches comme ça (Irlande et Italie).

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Quel a été la teneur de votre échange avec Ben O’Keeffe ?On envoie des clips aux arbitres avant et après les matches. La décision du match, on l’accepte. Vous ne me verrez jamais réagir à chaud sur une décision arbitrale. Mais on peut discuter à froid de certaines actions. Lors d’une commission de World Rugby (à l’occasion du forum Shape of the Game, NDLR), j’ai eu l’occasion de parler avec Ben O’Keeffe. (…) À un moment de la réunion , il y a eu une discussion sur le comportement des sélectionneurs. J’ai pris la parole et j’ai dit que nous avions un rôle majeur d’éducateur et que nous devions nous comporter avec respect vis à vis des arbitres. C’est fondamental. D’autres sélectionneurs tweetent et crient au scandale (c’est le cas du Sud-Africain Rassie Erasmus, NDLR). Pour moi, c’est banni. Mais je lui ai dit que mes joueurs avaient été fortement impactés par des décisions discutables. Tout le monde était d’accord sur le fait que certaines décisions n’étaient pas les bonnes. Ben O’Keeffe non plus n’était pas du tout satisfait de sa performance. On en revient au match contre l’Irlande, pourquoi ne pas resélectionner ces joueurs qui avaient été performants ?

Comment comptez-vous amener les trentenaires du groupe à la prochaine Coupe du monde ?Ce serait dommage que l’âge soit un critère éliminatoire. Les trentenaires portent avec eux 50 sélections. Comment expliquer qu’ils ne puissent pas nous apporter leur expérience et leur talent ? D’où la réflexion de savoir comment amener la quasi-totalité de cet effectif à la prochaine Coupe du monde. Il y a un travail de fond fait avec eux. Pourquoi on serait la seule nation qui ne peut pas amener des joueurs avec 50 sélections ? La moyenne d’âge des Sud-Africains au dernier Mondial était de 31 ans et 66 sélections. Nous n’avons que Fickou qui a 28 ans et 90 sélections. Il faut aider les joueurs à mieux se préparer, à mieux se régénérer. Pour qu’ils puissent être sélectionnables en 2027. Pour la prochaine tournée, nous allons amener des jeunes, pour développer leur potentiel. Ces trentenaires doivent être capables de matcher dans 3 ans. (…) Après 5 ans de pratique, je sais que l’on a le potentiel pour rivaliser avec les meilleurs. Mais ce potentiel, il faut l’entretenir.

Vous avez décidé d’insuffler du sang neuf pour les deux derniers matches. Pourquoi avez-vous décidé de procéder ainsi ? On avait vécu une tragédie en quarts de finale. Et une autre contre l’Irlande. Quand je parle à un joueur, je me dis : qu’est-ce qu’il pense ? Moi, après chaque match, je pensais que c’était le dernier. Il ne s’agissait pas de remettre en cause la confiance que l’on avait en nos joueurs. On a enchaîné deux matches très difficiles. Greg (Alldritt) et moi, on leur a dit de ne pas trop penser. Le retour de Marseille a été très dur. Cela ressemblait à une armée qui a perdu une bataille. Et on allait en Écosse, une terrible équipe, cinquième nation mondiale. On sentait que l’équipe n’était pas à son maximum. Les deux premières semaines sont toujours difficiles. On n’avait pas toutes les armes. Les joueurs, ceux qui sont froids, acceptent la critique. Gaël Fickou, comment fait-il pour autant enchaîner ? Les trentenaires, comme vous dites, ce sont des cracks. À la 60e minute à Murrayfield, on fait entrer nos huit remplaçants, on fait tapis (comme au poker). On était menés 16-10 et on fait ensuite un 10-0. Avant l’Italie, les joueurs n’étaient pas au niveau physique où on les attendait, on l’a vu sur les données des entraînements qu’ils avaient faits chez eux. C’est après l’Italie que l’on décide de mélanger les cartes. On ne le dit pas, mais on aurait encore pu remporter le Tournoi. Ces joueurs étaient rentrés en cours de match et ils nous avaient apporté leur énergie.

La défense, c’est le point négatif de ce Tournoi avec 14 essais encaissés…La défense a parfois été en difficulté mais pas tout le temps. L’attaque nourrit la défense et inversement. On doit s’adapter en permanence. Quand on ne concrétise pas un temps fort, on perd de l’énergie et cela se ressent en défense. La défaillance est multifactorielle. On n’a rien à envier aux autres nations mondiales. On doit travailler sur la préparation de nos joueurs. Contre l’Irlande, on se déplace à 112 m/min ; contre le pays de Galles, on se déplace à 117 m/min, on n’est plus la même équipe. On a vécu, comme j’ai dit, un Tournoi d’enfer.

Vous avez remporté le Tournoi en 2022. Ressentez-vous la forte attente d’un nouveau titre ?On est exigeant et ambitieux. Parfois, on se demande si on n’est pas trop ambitieux. De 2008 à 2019, l’équipe de France n’a gagné qu’une fois (en 2010). On fait deuxième en 2011, et troisième en 2017. Sinon, aucun podium. Depuis, on n’a 20% de défaites, 77% de victoires et 3% de nuls. Mais on aimerait se payer plus. Pour partager plus avec tout le monde, notre public, nos dirigeants. On a envie de gagner des titres. J’ai mis la barre très haut. Après on ne peut pas baisser le curseur. Je comprends ceux qui ne comprennent pas qu’on n’y arrive pas. On se dit qu’à un moment ça va tourner. On peut maintenir le curseur à ce niveau, mais il faut assumer. Quand on regarde la vitrine à trophées à Marcoussis, on voit bien qu’il en manque. Et on n’a qu’une envie, c’est la remplir.

Savez-vous de quoi sera faite votre fameuse «flèche du temps» jusqu’en 2027 ?Un nouveau calendrier va arriver, avec de nouveaux matches. On ne sait pas encore. Jusqu’à la tournée en Nouvelle-Zélande (en 2025), c’est clair. Après, on verra.

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