À Marseille

COUPS DE CŒUR

Chacune digère sa désillusion comme il peut. Comme les Bleus, les Irlandais avaient été sortis dès les quarts de finale de la dernière Coupe du monde, battus par les All Blacks. Mais ils ont vite tourné la page et remis la marche avant en signant, au Stade Vélodrome, la plus large victoire de leur histoire face au XV de France. Puissance, rythme, efficacité, la machine verte a totalement essoré Matthieu Jalibert et ses coéquipiers. Au final, ces 21 points d’écart reflètent cruellement la différence de niveau entre les deux équipes. Froide et méthodique, l’Irlande est sûre de sa force. Tout l’inverse de la France qui a balbutié son rugby. «On a réussi à faire taire les supporters en restant concentrés pendant tout le match, a salué le sélectionneur Andy Farrell. Parfois, quand vous jouez à quinze contre quatorze, vous avez tendance à vous relâcher mais pas là.» Déjà, l’an dernier, les Tricolores avaient violemment subi des Irlandais à l’Aviva Stadium (32-19). Cette fois, la déroute est plus sévère et Fabien Galthié va devoir gérer un deuxième traumatisme d’affilée. Le sélectionneur avait misé sur «l’intensité combattue plutôt que l’intensité courue» pour ce choc au sommet. Au final, les Irlandais n’ont pas choisi l’un ou l’autre, ils ont réussi à briller sur ces deux aspects du jeu. «On a su être impitoyables», savoure Andy Farrell.

Ce vendredi, Paul Gabrillagues a inscrit à Marseille son deuxième essai sous le maillot tricolore. Six ans après le premier marqué contre l’Italie au… Vélodrome. Drôle de symbole pour ce joueur plus qu’emblématique du Stade Français Paris. Interrogé sur ce petit détail amusant, le deuxième-ligne, qui n’a pas démérité dans le combat, a lâché : «J’aurais préféré gagner…» Pour son retour en bleu, celui qui n’avait plus été convoqué depuis le Mondial 2019 au Japon a répondu aux attentes placées en lui : à savoir du combat, du combat et du combat. Pour la suite du Tournoi, dès samedi prochain à Murrayfield, la grande interrogation va être la composition de la deuxième-ligne du XV de France. Paul Willemse suspendu, Romain Taofifenua blessé, le staff devrait relancer Cameron Woki, au profil plus aérien, le jeune Posolo Tuilagi étant encore un peu vert pour être lancé d’entrée dans le chaudron d’Édimbourg. Malgré ce sinistre revers, Gabrillagues, lui, a marqué des points.

L’ancien et le nouveau, comme larrons en foire. Face à une deuxième-ligne tricolore en plein délitement – deux expulsions en 30 minutes pour Willemse, un manque de percussion pour Gabrillagues -, Tadhg Beirne et Joe McCarthy ont rayonné. Le premier s’est signalé par son essai, lancé plein fer dans un intervalle béant par son demi de mêlée ; le second a tout simplement été élu homme du match. La récompense de son activité dans les airs et au ras du sol. Par ailleurs, les deux avants massifs ont avancé, gagnant chacun 32 mètres (pas de jaloux…), gêné l’alignement français en touche, mis la pression sur Lucu (un jeu au pied contré) et battu quelques défenseurs pour faire bonne mesure. Un attelage qui permet de voyager loin.

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COUPS DE GRIFFE

La tentative d’enfumage avait, au mieux, prêté à sourire. La vie sans Dupont ? Anecdotique avait tenté de faire croire William Servat, l’entraîneur adjoint en charge des avants tricolores, la veille du choc contre l’Irlande. « Maxime (Lucu) porte haut le maillot et il y a une émergence de jeunes demis de mêlée. Nolann (Le Garrec) nous prouve tous les jours que ce sera un grand joueur. On s’est rendu compte que le bassin plus profond qu’on ne le croyait. Et puis la force du collective prendra toujours le dessus sur l’individu.» Du politiquement correct, des vessies pour des lanternes, de la méthode Coué, rayez la mention inutile. Pendant que leur ex-capitaine s’apprêtait à jouer à l’ouverture ce samedi avec Toulouse en Top 14, ses coéquipiers ont mesuré le poids de l’absence. La principale menace envolée pour libérer les Irlandais. Un remplaçant qui n’a ni la même longueur, ni la même précision dans le jeu au pied. Et ni la même vision, ni le même coup de reins pour faire des différences. Pas la peine d’accabler Maxime Lucu. On savait qu’il n’avait pas le talent protéiforme de Dupont. On attend juste le changement de cap de tous ceux qui louaient le choix du meilleur joueur du monde à XV d’aller s’amuser à 7. Une défection qui obère les chances de succès de la sélection de Fabien Galthié. Mais, entre bouquinistes déplacés, coût des transports multipliés ou festivals annulés, il paraît que les Jeux olympiques valent tous les sacrifices. Celui du XV de France risque fort de s’étirer jusqu’au début du printemps…

Deux jaunes au pays du Pastis. Paul Willemse, qui faisait son retour en équipe de France après avoir manqué le dernier Mondial à cause d’une déchirure, a écopé de deux cartons face à l’Irlande, ce qui a logiquement engendré son expulsion et précipité la chute de son équipe. Dès la 9e minute de jeu, il s’est d’abord mis à la faute sur un déblayage au niveau du visage du pilier Andrew Porter. Avant, à la demi-heure de jeu, de se rendre coupable d’une charge dangereuse, épaule contre tête, sur le troisième-ligne Caelan Doris. Avec 15 contre 15, les Bleus auraient-ils fait mieux ? Rien n’est moins sûr. Le deuxième-ligne de Montpellier, déjà exclu lors du succès contre le pays de Galles (32-30) dans le Tournoi 2021, rentre tristement dans l’histoire du XV de France en étant le deuxième joueur à écoper de deux cartons rouges, après son ancien coéquipier, le pilier Mohamed Haouas. À chaud, personne n’a voulu l’accabler. Fabien Galthié a refusé de parler de faute professionnelle à ce niveau : «Je ne peux pas dire ça d’un joueur qui s’engage pour défendre la ligne, ce sont des fautes techniques et on sait que les contacts à la tête sont sanctionnés très forts.» Le troisième-ligne Paul Boudehent raconte que ses partenaires sont «tous venus vers lui pour le consoler dans le vestiaire. La solidarité, c’est le maître mot. Qui, ici, n’a pas fait d’erreur dans sa carrière ? Ça arrive, ça fait partie de la vie, de notre carrière. On va continuer à avancer. On reste solidaires.» Et de poursuivre : «Quand un de vos enfants a un coup de moins bien, est-ce que vous le laissez de côté ?» Au moins pour le match contre l’Écosse.

En charge de la touche ces quatre dernières années, Karim Ghezal est parti exercer ses talents de technicien des airs au Stade Français. Et on ne peut pas dire que son successeur, Laurent Sempéré, qui a fait le chemin inverse, ait convaincu pour sa grande première. Quatre lancers égarés (sur 18) et un manque d’organisation frappant sur ceux attrapés. Aucun lancement de jeu propre, des cafouillages dans les mauls, et une passivité à regarder l’Irlande se gaver de ballons en touche. En choisissant de refuser de contester les lancers adverses, les Bleus ont accéléré leur chute. Ce secteur a été la principale rampe de lancement des offensives irlandaises. Le plus souvent au large, direction le milieu de terrain pour un premier impact. Mais pas seulement. À l’image des deux dernières pénaltouches de la rencontre : ballon porté et essai des talonneurs, Sheenan puis Kelleher. Une démonstration de maîtrise.