Au Stade de France
La vidéo fait les tours des réseaux sociaux et fend le cœur. L’Irlande vient d’être éliminé, Jonathan Sexton tire sa révérence à 38 ans et son fils lui lance, le regard plein d’amour et d’admiration : «tu es toujours le meilleur papa.» L’ouvreur, sonné, reste le regard dans le vide. Il lui faut digérer la désillusion. Terrible. Encore raté pour le XV du Trèfle. Une fois de plus les hommes en vert n’ont pas franchi l’écueil du quart de finale. Leur plafond de verre.
Voilà pour le docteur Johnny. Car son immense carrière qui prend brutalement fin n’excuse pas le retour de Mister Sexton. Après le coup de sifflet final, on l’a vu invectiver le centre néo-zélandais Rieko Ioane. Pour quelques mots qu’on imagine facilement peu amènes.
Surtout, la presse anglo-saxonne l’a également surpris en train de hurler après Wayne Barnes, l’arbitre anglais. Sur ses lèvres, ils ont lu «fucking cunt» qu’on se contentera de traduire par «sale c…». Son caractère détestable venait à nouveau de sévir. Comme au printemps dernier, quand il avait insulté l’arbitre de La Rochelle-Leinster et l’entraîneur des Maritimes, Ronan O’Gara. Ce qui lui avait valu une longue suspension.
Johnny Sexton, palmarès XXL mais très haute opinion de lui même, a donc dérapé, une dernière fois. Une colère pour évacuer la frustration. Peut-être aussi après lui. À 38 ans, il a été transparent durant cette rencontre sous haute intensité. Se contentant de faire de petites passes entre son 9 et ses avants. 73 au total. Presque autant que son demi de mêlée Gibson-Park. Une stat qui dit tout de son peu d’influence sur le match. Une seule (!) course ballon en mains pour 6 petits mètres gagnés, mais pas une percée, pas un coup de pied décisifs pour franchir la muraille noire.
Ces adieux ratés ne doivent pas ternir ses belles années, son palmarès XXL : 4 Champions Cup, 4 Tournoi des six nations (dont deux Grands Chelems), deux participations à des tournées des Lions, un titre de meilleur joueur du monde en 2018, le meilleur marqueur de l’histoire du XV d’Irlande (entre autres).
Mais en s’imposant comme le patron du Trèfle, en exigeant de rester le 10 inamovible pendant plus de quinze ans, il a aussi contribué à la chute de son équipe. Quatre éliminations en quart de finale de la Coupe du monde et aucune relève derrière lui. La terre brûlée. Jamais la possibilité de le concurrencer n’a été donnée à un autre ouvreur irlandais…
Un mythe vivant a donc tiré sa révérence ce samedi soir au Stade de France. Le chant du cygne pour le joueur aux 118 sélections qui a accusé le poids des années et d’une saison perturbée par les blessures et sa suspension. On l’a vu faire quelques courses au ralenti, le dos plus courbé encore que d’habitude. Un vieillard au milieu des guerriers et des fusées. Au point d’en être peiné pour lui. Lent et sans inspiration. Loin de son meilleur niveau. Le buteur émérite a même raté une pénalité pratiquement face aux poteaux à l’heure de jeu…
Cette sortie ratée n’a pas empêché le sélectionneur de l’Irlande, Andy Farrell, de le saluer. «Je ne peux pas lui rendre justice en quelques mots. Avant tout, c’est un être humain exceptionnel. C’est probablement le meilleur joueur de l’histoire du rugby irlandais.» A ses côtés, tête basse, l’intéressé n’a pas relevé. Évitant de s’appesantir sur sa prestation, le capitaine a parlé de ses coéquipiers, des dizaines de milliers de supporters présents au Stade de France, d’un pays mortifié de voir leurs favoris à nouveau échouer, eux qui s’avançaient fort d’une série de 17 victoires consécutives.
«Je suis très fier des gars, du pays tout entier. Ce groupe, ces fans, je suis tellement dégoûté de ne pas pouvoir leur offrir mieux… Merci à eux. Je suis fier d’être Irlandais quand je vois tout ce qu’ils ont fait pour nous soutenir. On n’a malheureusement pas pu leur offrir une nouvelle semaine mais cette équipe est énorme. Je n’ai jamais connu une équipe pareille. C’est certain qu’on va les revoir.»
Du bout des lèvres, il a ensuite essayé de cerner les raisons de cette défaite (24-28). «On n’aurait pas pu faire mieux vraiment. À la fin, ça se joue à trois fois rien. Ils nous ont fait quelques coups en douce. On savait qu’on faisait face à une excellente équipe et, malheureusement, on a manqué de justesse. Il faut travailler dur pour que les contes de fées se réalisent. On a échoué, mais c’est la vie. On n’a rien négligé, on a coché toutes les cases, on s’est donné à 100 % et on a vraiment bien joué ce soir. Ça se joue à quelques décisions, un rebond… Félicitations aux All Blacks. Mais on a fait un super match, c’est la fierté qui prime.»
Quant à lui, il va prendre un peu de recul désormais. «Ces dernières années, j’ai vécu les plus beaux moments de ma carrière, surtout avec Faz (Andy Farrell, NDLR) et cette équipe. Je remercie la vie. À 38 ans, c’est normal d’avoir des hauts et des bas. Je penserai à l’avenir au cours des prochaines semaines mais là, je vais profiter de ma famille.» Et serrer enfin très fort dans ses bras le petit garçon qui a tenté de consoler son papa. Le meilleur du monde. Finalement le plus beau des titres.