Bernard, comment êtes-vous venu au poker ? Avez-vous commencé alors que vous étiez encore joueur ?Bernard Mendy : J’ai commencé quand j’étais joueur. Nous avions souvent des mises au vert. Quand nous jouions des matches le samedi, nous étions dès le vendredi à l’hôtel et il arrivait parfois que les journées soient longues. Une fois les soins et la récupération effectués, certains joueurs se réunissaient pour jouer aux cartes, notamment au poker. C’est à ce moment-là qu’on m’a initié à ce jeu. J’ai donc commencé avec Vikash Dhorasoo, Jérôme Rothen, Edouard Cissé, Fred Déhu, Fabrice Fiorèse, Sylvain Armand… Du beau monde, histoire de passer le temps. À l’époque, on ne jouait que des petites mises, du style 20 euros, sous forme de tournoi. On était une dizaine, le premier prenait environ 60% du pot et le deuxième 40%. Voilà comment j’ai commencé.
Qu’est-ce qui vous a plu immédiatement ?L’adrénaline. Et le fait de se confronter à d’autres personnes, de voir s’ils mentent ou pas. À mes débuts, je me souviens, je faisais souvent des quintes (cinq cartes qui se suivent, qu’importe la couleur) mais c’était grillé de ma part car je comptais les cartes. Par exemple, j’avais un 6-7 en main. Au flop (les trois premières cartes communes), il y avait un 8 et un 9, et à la river je touchais le 10, je faisais un mouvement de tête (il mime cinq fois le mouvement de tête pour compter de 6 à 10). Je n’étais pas du tout «poker face» au départ. Une fois, Jérôme Rothen m’a vu et il m’a dit : «Ok, les gars, Bernard a une quinte, il vient de compter les cartes». Du coup, tout le monde s’est couché et j’avais vraiment la quinte qui ne m’a rien rapporté (rires).
Vous parlez d’adrénaline. Est-elle comparable à celle que vous ressentiez en rentrant sur un terrain, dans un grand stade ?Il y a des points communs. J’ai la chance aujourd’hui de participer à un magnifique tournoi (l’EPT de Paris) et l’adrénaline est forte aussi. Certes, je ne joue plus devant 60.000 personnes mais de réussir à se qualifier pour le deuxième jour, de repartir en mettant des jetons dans ton sac, c’est énorme comme sentiment.
Au football, vous étiez un latéral très offensif. Êtes-vous aussi un joueur de poker au style de jeu très agressif ?(Sourire) Pas autant. Quand j’arrive à table, je me dis que je dois battre tout le monde. Et puis certains me reconnaissent, et ils veulent absolument sortir Bernard Mendy. Ils se disent que je suis un joueur de foot, que je ne sais pas jouer et que j’ai les moyens d’être là, donc ils veulent me plumer. Mais c’est souvent l’inverse qui se passe.
Vous sentez vraiment qu’il y a des adversaires qui veulent d’une certaine façon «se faire» Bernard Mendy ?Oui, je le sens. À table, je suis plutôt quelqu’un de souriant, de conciliant et très respectueux, que je gagne ou que je perde. Mais au final, certains me disent qu’ils veulent dégager «le Parisien». Là par exemple j’ai joué face à un Marseillais, très bon joueur de poker, avec qui j’ai sympathisé et avec qui nous n’arrêtons pas de nous chambrer quand nous nous croisons à une table ou en dehors. Dans ce cas-là, c’est plutôt bon esprit mais ce n’est pas toujours le cas.
Sur la gestion du stress, en quoi votre carrière de sportif de haut niveau vous aide-t-elle en tant que joueur de poker ?Cela me permet de me calmer dans certaines situations, quand parfois je peux être en tilt ou quand je perds un gros coup sur un bad beat (un coup de malchance). Le fait d’avoir joué devant plus de 60.000 spectateurs dans ma carrière de footballeur m’a appris à mieux gérer mes émotions et cela fait ma force autour d’une table aujourd’hui.
Qu’est-ce qui est le plus dur à vos yeux : perdre un match dans les arrêts de jeu ou prendre un bad beat sur une énorme main ?Perdre un match dans les arrêts de jeu (rires).
Il y a un débat autour du poker, sur le fait de savoir si c’est un sport ou non. Quelle est votre position sur le sujet ?(Il réfléchit) Oui, je pense que c’est un sport. Quand tu fais de grands tournois, c’est très long, comme un marathon, et il faut rester concentré tout du long, appliqué dans tout ce que tu fais et animé d’un objectif précis. C’est à peu près la même chose qu’au foot en fait.
Quand vous avez commencé le poker, avez-vous regardé beaucoup de vidéos du World Poker Tour par exemple ? Vous êtes-vous inspiré de certains grands joueurs ?Oui, en général, je regarde beaucoup de parties, de tables finales pour apprendre. Je suis fan de Phil Ivey (un joueur américain qui a remporté dix bracelets des World Series of Poker, l’équivalent des Championnats du monde), mais aussi de Daniel Negreanu. Il y avait aussi un joueur espagnol qui était à ma table hier (samedi) qui fait partie de la team pro de Poker Stars et c’est toujours sympa de pouvoir se mesurer à de tels joueurs et de pouvoir échanger avec eux.
Rêvez-vous de jouer face à un Phil Ivey ?Ce n’est pas mon rêve de gosse, qui a toujours été d’être footballeur professionnel et de pouvoir acheter une maison à mes parents. Je rêvais aussi de la carrière que j’ai eue, même si j’aurais pu faire mieux. Maintenant, oui, aujourd’hui, cela pourrait être un rêve ponctuel que d’être sur une grosse table avec des légendes du poker. Cela voudrait dire que j’ai plus ou moins réussi si j’arrive à m’inviter à leur table (sourires).
Vous prenez plus de plaisir en cashgame ou en tournoi ?C’est totalement différent. Comme je le disais, le tournoi, c’est comme un marathon et il faut être focus sur un long moment. Le cashgame a un côté plus instantané. Tu peux gagner un gros coup et sortir celui d’après. Moi, je fais plus de tournois que de cashgame en tout cas, si cela répond à votre question (sourire).
Avez-vous une main fétiche ?7 et 8 de préférence, ou n’importe quelle main «suitée». J’aime bien ces mains embusquées.
Quel est selon vous le meilleur footballeur, passé ou actuel, au poker ?Très bonne question… Il y en a pas mal. Celui qui a fait les meilleures performances, c’est bien sûr Vikash Dhorasoo avec qui j’ai joué et qui est un ami. J’aime bien aussi Neymar, qui connaît très bien Pokerstars et qui a réalisé quelques belles performances aussi.
Comment voyez-vous votre avenir ? Avez-vous le désir de devenir joueur pro à temps plein ?Cela dépendra des opportunités qui se présenteront à moi. Là, je suis en repos donc j’en profite, mais je suis toujours dans le staff du Paris SG. Après, cela dépendra de mon planning, de mes envies sur le court, moyen et long terme. Et pourquoi pas un jour être ambassadeur d’une structure, ce serait cool.
Vous vous imaginez plus dans ce rôle-là ou dans celui d’entraîneur numéro 1 d’une équipe de football ?Plus entraîneur. Le football reste ma priorité, et le poker est plus un passe-temps. C’est sûr que je prends du plaisir en jouant, en rencontrant de belles personnes, en échangeant avec différentes cultures.