Ce dimanche 24 septembre, près de la moitié du Sénat (170 sièges sur 348) doit être renouvelée. Plus d’une quarantaine de parlementaires ont choisi de ne pas briguer un nouveau mandat. Parmi ces sortants, plusieurs figures historiques ayant marqué le Sénat ferment un chapitre de leur vie politique. Le Figaro fait un focus sur cinq d’entre eux
En juillet dernier, la pudeur la retient de prendre la parole pour faire ses adieux à l’hémicycle. Après dix-neuf ans passés sans discontinuité sur les bancs du palais du Luxembourg, la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, Éliane Assassi, assiste à sa dernière séance de questions au gouvernement. Du haut de son «perchoir», Gérard Larcher prend les devants dans un chaleureux hommage : «Avec ses convictions, son engagement, son attachement à la République, son attention portée aux plus modestes et aux plus pauvres, elle incarne parfaitement la famille politique à laquelle elle est si attachée, mais aussi une richesse pour le Sénat et notre République.» Ovationnée par ses collègues, l’intéressée essuie ce jour-là quelques larmes.
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Élue «sénatrice de l’année» en 2022, Éliane Assassi s’est fait connaître pour son rôle de co-rapportrice du rapport au vitriol sur le recours «tentaculaire» de l’État aux cabinets de conseil. L’enquête de quatre mois permet d’établir que près de 2,5 milliards d’euros d’argent public ont été dépensés en 2021 auprès de ces structures privées. «C’était une aventure passionnante. Je m’en vais avec le sentiment d’avoir accompli ma vision», confie-t-elle au Figaro. Après onze ans à la tête du groupe communiste, républicain et citoyen (CRCE), la presque retraitée de 64 ans veut laisser «place à la jeunesse». «C’est une femme passionnée qui a toujours respecté ses collègues. Elle fait partie de cette génération, qui tout en ayant été fidèle à ses valeurs, a porté des dossiers qui n’auraient pas été possibles ailleurs», loue la sénatrice UDI du Nord, Valérie Létard, qui rendra elle aussi l’écharpe.
Valérie Létard a tout juste 39 ans lorsqu’elle fait ses premiers pas au Sénat en 2001. L’élue UDI du Nord figure alors parmi les «benjamines» d’une assemblée encore grisonnante. «Je suis arrivée avec la première promotion issue de la loi sur la parité. C’est là qu’on a commencé à voir arriver petit à petit des femmes et des jeunes avec le changement du mode de scrutin», se remémore-t-elle. Après 20 ans de service au Palais du Luxembourg, cette proche de Jean-Louis Borloo a choisi de raccrocher l’écharpe tricolore. «Je ne me voyais pas être sénatrice jusqu’à 80 ans. Il faut aussi de nouvelles idées et de nouvelles façons de voir les sujets», justifie-t-elle, de retour à temps plein dans ses terres nordistes.
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Dans les derniers mois de son mandat, Valérie Létard s’est illustrée par son combat contre le «zéro artificialisation nette» des sols porté par l’exécutif dans son projet de loi Climat. «C’était complètement inapplicable pour les collectivités. Ce qu’un sénateur peut faire, c’est de s’assurer que le gouvernement n’oublie pas qu’il y a la vraie vie et la réalité des territoires», raconte-t-elle. Après un bras de fer, le Sénat obtient finalement des «assouplissements» pour assurer la mise en œuvre du dispositif. «Elle n’a jamais rien lâché politiquement, elle savait ce qu’elle voulait», salue le président LR de la commission des Lois, François-Noël Buffet. À 60 ans, la centriste se dit même «toujours aussi déterminée» à se rendre utile dans son département ou «ailleurs». «Je commence à me faire tester par les uns et les autres sur l’Europe. Mais j’avoue n’avoir aucune idée de ce que je ferai demain», confiait-elle récemment sur le plateau de Public Sénat, décidément pas prête à prendre sa retraite.
Des piles de dossiers tiennent difficilement en équilibre sur son grand bureau de la Questure. «Tout ça, c’est pour les archives !», lance le sénateur PS du Loiret, Jean-Pierre Sueur. Président de la commission des Lois (2011-2014) puis élu questeur en 2020, le socialiste de 76 ans tire sa révérence après vingt-deux années passées au Palais du Luxembourg. «Je ne voulais pas faire le mandat de trop», concède-t-il. Dans son téléphone, l’ancien maire d’Orléans garde précieusement les images de l’hommage rendu dans l’hémicycle par Gérard Larcher. «Jean-Pierre Sueur, 22 années au Sénat, président de la Commission des Lois, Questeur. Il a sans doute battu le record d’heures passées dans les fauteuils de l’hémicycle. On devra écrire ses œuvres complètes !», a lancé le locataire du Petit Luxembourg, suivi par un tonnerre d’applaudissements.
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Dans ses dernières années à la Chambre haute, Jean-Pierre Sueur revient dans la lumière en juillet 2018 lorsqu’il devient co-rapporteur de la commission d’enquête de l’affaire Benalla. «Nous avons joué notre rôle. La Constitution nous en confère deux : voter la loi, mais aussi contrôler l’exécutif», se félicite-t-il, cinq ans plus tard. L’enquête fait réagir jusqu’à au sommet de l’État, où l’on dénonce des conclusions orientées politiquement. «Aucune ligne de ce rapport n’a été remise en cause», défend le sénateur. À 76 ans, l’agrégé de lettres veut désormais reprendre la plume après la publication de plusieurs ouvrages sur Charles Péguy . «J’ai quelques manuscrits en stock que j’aimerais publier», glisse-t-il.
En vingt-deux ans, le sénateur LR de la Meuse, Gérard Longuet, a marqué la haute assemblée de son empreinte. «Il a été, à la commission des Finances, un orateur qui a toujours donné beaucoup d’élévation», a salué Gérard Larcher, début juillet dans l’hémicycle. Dans ses rangs, le président LR de la commission des Lois, François-Noël Buffet, loue «l’un des cerveaux les plus brillants intellectuellement du Sénat». Trois fois ministre, quinze ans député, président de la région Lorraine… À 77 ans, cet adepte du «parler vrai» a donc tenu parole après avoir annoncé qu’il briguait son dernier mandat en 2017.
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L’ancien ministre de la Défense (2011-2012) a fait du nucléaire l’un des combats structurants de sa carrière politique, y compris au Palais du Luxembourg. Parmi ses faits d’armes, l’ancien patron du groupe LR au Sénat a défendu le projet du centre de stockage géologique des déchets radioactifs (Cigéo). En 2016, il revient à la charge et dépose une proposition de loi pour poursuivre l’enfouissement des combustibles usés dans le sous-sol de Bure (Meuse). «En me retournant, je me dis que j’ai été assez utile à un certain nombre de sujets», concédait-il récemment sur Public Sénat.
Durant son aventure sénatoriale, Gérard Longuet passe notamment au crible les questions éducatives. En 2021, il publie un rapport alarmant sur le manque d’attractivité du métier d’enseignants. Dans ce constat sévère, le rapporteur spécial de la Mission «Enseignement scolaire» pointe la dégradation des conditions de travail des professeurs, confrontés à des classes surchargées.
Après la communiste Éliane Assassi, les bancs de la gauche perdent encore une autre figure. «Il y a une page qui se tourne, mais il y aura une vie au Sénat après nous», balaie pudiquement Pierre Laurent. À 66 ans, le sénateur communiste de Paris quitte «sans regret» ni «amertume» le siège qu’il occupait depuis douze ans. «Le droit à la retraite, ce n’est pas seulement dans l’hémicycle qu’on le défend. Il faut aussi en profiter», s’amuse-t-il. C’est au Palais du Luxembourg que l’ex-secrétaire national du PCF (2010-2018) découvre pour la première fois les rouages de la vie parlementaire. «C’est beaucoup de souvenirs et d’émotion», lâche-t-il, au moment de fermer ses derniers cartons.
À la tête d’une des huit vice-présidences de la Chambre haute depuis 2020, l’ancien directeur de la rédaction de L’Humanité se familiarise aux coulisses de l’institution. C’est au cours de son passage au Sénat qu’il se prend pour passion pour les questions relatives à l’Afrique de l’Ouest, après avoir rejoint la commission des Affaires étrangères. Une expérience qu’il compte bien mettre à profit de son parti dans lequel il continuera de militer.