Le sujet anime les calmes couloirs du Palais du Luxembourg depuis plusieurs semaines. Ce mercredi après-midi, les sénateurs vont devoir trancher. Faut-il inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution? Et faut-il le faire dans les termes exacts proposés par le gouvernement? Si tel était le cas, un Congrès serait alors réuni à Versailles très prochainement et les parlementaires auront une nouvelle fois à se prononcer sur le texte, qui devra être adopté aux trois cinquièmes des membres pour être inscrit dans le texte fondamental.
Mais l’affaire n’est pas encore gagnée pour l’exécutif. Dans leur projet de loi, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, et celle de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, veulent constitutionnaliser le fait que «la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG». Une formulation qui crispe la majorité sénatoriale, composée des Républicains et de l’Union centriste.
Le président du Sénat s’en est d’ailleurs ouvert publiquement il y a quelques semaines, jugeant que «la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux». Une position «personnelle», a-t-il pris soin de préciser. Un avis également partagé par le patron du groupe LR à la Chambre haute, Bruno Retailleau, et par son collègue Hervé Marseille, qui préside l’Union centriste. Mais après ces prises de position successives, l’Assemblée nationale a largement adopté, fin janvier, le projet de loi du gouvernement, par 493 voix contre 30, avec le vote d’une majorité des députés LR, dont le président du parti en personne, Éric Ciotti. De quoi décomplexer certains sénateurs LR? Possiblement, croient savoir certains.
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En 2023, déjà, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi, le Sénat avait voté le principe d’une constitutionnalisation de l’IVG, en modifiant toutefois les termes de celle qui avait été adoptée à l’Assemblée, défendue alors par l’Insoumise Mathilde Panot. Le gouvernement avait alors décidé de reprendre à son compte le sujet, avalisant l’inscription de la «liberté garantie», préférée au «droit». Un choix sémantique visant à trouver un compromis entre les deux chambres. Mais cela ne suffit pas, estiment les ténors de la commission des lois du Sénat, qui craignent que le terme «garantie» crée un «droit opposable à l’IVG». En réunion de groupe LR, mardi matin, plusieurs d’entre eux se sont exprimés pour défendre cette position, parmi lesquels Agnès Canayer, rapporteur du projet de loi au Sénat, François-Noël Buffet, président de la commission des lois, et Philippe Bas.
«Nous avons quelques inquiétudes sur ce terme. Soit il est inutile, car toutes les libertés inscrites dans la Constitution sont de fait garanties, soit il l’est, mais alors, quels sont les effets juridiques? Personne n’est en capacité de nous rassurer clairement», exprime Agnès Canayer. Deux amendements ont ainsi été déposés pour reformuler le texte du gouvernement et valider, en des termes différents, l’inscription de l’IVG dans la Constitution. «Nous ne voulons pas d’un vote conforme, car le gouvernement a communiqué sur la date du Congrès (plusieurs membres de l’exécutif ont très tôt évoqué la date du 5 mars, NDLR) avant que le Sénat ne se soit prononcé. C’est très mal élevé. C’est une mauvaise manière faite au Parlement», fustige un cadre LR du Palais du Luxembourg.
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Mais ceux qui souhaitent réécrire ce texte seront-ils majoritaires? Beaucoup commencent à en douter. «Il y a une espèce de démobilisation de ceux qui étaient hostiles au texte. Je ne sens pas de volonté guerrière. J’ai l’impression que beaucoup ont envie de tourner la page», avoue sans fard le patron de l’Union centriste, Hervé Marseille. La sénatrice LR Agnès Evren, quant à elle, assume: elle s’abstiendra sur les amendements de ses collègues et votera pour la formulation du gouvernement. «C’est un rendez-vous important, qu’on ne doit pas louper. À l’approche des européennes, il est important que la France envoie un message au monde entier en étant la première à inscrire ce droit fondamental dans la Constitution», fait-elle valoir. Son collègue Philippe Tabarot ironise, quant à lui, sur les changements de position de certains de ses voisins d’hémicycle: «J’ai l’impression qu’ils sont assez sensibles aux pressions extérieures. Les sondages, la pression médiatique, tout cela semble jouer assez fortement.»
Dans tous les groupes, une liberté de vote a été donnée. Et le résultat final semble plus incertain que jamais, au vu de la composition de la Chambre haute. Un cadre du Sénat pronostique: «Un tiers du groupe centriste votera la version du gouvernement, un tiers des sénateurs LR peuvent aussi y être favorables, et comme toute la gauche votera pour, ça pourrait passer.»