Avantage rue. Depuis Barcelone, où il participait à un sommet franco-espagnol, Emmanuel Macron a bien dû se rendre à l’évidence: les syndicats ont remporté le pari de la mobilisation contre la réforme des retraites. Avec plus de 2 millions de manifestants revendiqués par la CGT et plus de 1 million recensés par la police en fin de journée, le bras de fer avec l’exécutif s’engage sur des bases solides pour les syndicats. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a lui-même reconnu sur RTL une «mobilisation importante» , assurant qu’il «faut écouter les messages dans les cortèges». Comme le résumait Jean-Luc Mélenchon à Marseille avant le départ de la manifestation parisienne: «Le gouvernement a perdu sa première bataille». D’autres sont à venir.

À la démonstration de force des syndicats, le président de la République a opposé la légitimité dont il dispose pour conduire la réforme et sa détermination à la mener à son terme. «Il faut que les choses soient dites au moment où les choix démocratiques sont faits», a expliqué Emmanuel Macron en défendant une réforme «démocratiquement présentée, validée» et «surtout juste et responsable». Avec une nuance toutefois que ne cessent de rappeler les opposants à la réforme des retraites: si Emmanuel Macron a été réélu pour un second mandat, c’est plus pour faire barrage à Marine Le Pen que pour soutenir son programme. «Oui, ça a aussi existé», a reconnu le chef de l’État, mais «c’est le principe même d’un second tour et c’est aussi vieux que la démocratie (…) On ne peut pas non plus (agir) comme s’il n’y avait pas eu d’élections il y a quelques mois, c’est juste ça que je dis, avec beaucoup de calme».

Il n’empêche, au terme de la première journée de manifestation contre la réforme des retraites, et malgré les heurts qui ont émaillé le cortège, les syndicats en ressortent renforcés et la gauche avec eux. Comme leurs collègues syndicaux, les dirigeants de LFI, des Verts, du PS et du PC ont effacé leurs divisions le temps d’une journée, avec l’espoir de maintenir l’unité de la gauche tout au long du conflit. Place de la République, les responsables de la Nupes se tombent dans les bras. Les polémiques et affaires internes de la coalition sont mises de côté.

«Il faut aller chercher le million. Quand on voit les manifestations dans les grandes villes de ce matin, ce sont des chiffres de participation qu’on n’a pas vus depuis dix ou quinze ans. À Valenciennes, il y avait des gens que je n’avais jamais rencontrés avant dans des manifs», raconte le communiste Fabien Roussel aux côtés de l’écologiste Marine Tondelier et du socialiste Olivier Faure. «C’est une mobilisation d’ores et déjà historique. C’est comparable à ce qu’on a vécu en 1995. Cette réussite formidable est liée à l’unité syndicale», affirme de son côté l’Insoumise Mathilde Panot.

La délégation de la Nupes n’aura cependant pas obtenu de photo de famille avec les responsables syndicaux, qui n’y tenaient pas. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé: à plusieurs reprises, les élus de gauche ont tenté de s’approcher de la tête du cortège pour les rencontrer. Ils ont aussitôt été priés de se mettre sur le côté pour laisser passer le cortège. Sans importance, selon eux. «C’est parce qu’il y a trop de monde que nous sommes obligés de marcher sur le trottoir. On se croirait à la Fête de l’Huma!», ironise Fabien Roussel. Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’EELV, et quelques écologistes ont finalement réussi à croiser Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT.

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Au sein de la Nupes, consigne a pourtant été donnée de mettre en avant les syndicats et de ne surtout pas donner l’impression de vouloir tirer la couverture à soi. «Les syndicats font l’unité, et les politiques viennent la renforcer», résume le député LFI, Alexis Corbière. «Je leur dis: «Donnez-moi la date de la prochaine mobilisation, ce sera la mienne»», assure-t-il. Les Insoumis appellent néanmoins à une nouvelle manifestation samedi… sans l’aval des forces syndicales. Ces dernières devaient décider jeudi dans la soirée de la date d’une nouvelle journée de manifestation. Avec pour objectif d’amplifier la mobilisation pour accroître la pression sur le gouvernement. «La réforme des retraites, c’est comme le passage du cap Horn. Soit le bateau casse, soit il passe. On est partis pour cinquante jours de gros temps», résume un poids lourd du gouvernement. Soit le temps dont dispose le Parlement pour adopter le texte après sa présentation en Conseil des ministres le 23 janvier prochain. Une séquence qui, selon Emmanuel Macron, «permettra à toutes les forces politiques à l’Assemblée et au Sénat de s’exprimer, d’enrichir le projet». Et donc d’y adjoindre quelques modifications, si la pression de la rue devait s’amplifier dans le prolongement des manifestations de jeudi.

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