Envoyé spécial à Tourcoing
Une roseraie et une forêt de chemises, parfois agrémentées d’une veste de costume. Une bonne partie du gratin de la majorité présidentielle s’est retrouvée dimanche dans le jardin botanique de Tourcoing pour disserter des classes populaires. Dans son fief du Nord, Gérald Darmanin a convié un millier de personnes – dont de nombreux élus – à manger «frites et saucisses achetées à Auchan» lors d’une rentrée politique inédite pour lui. D’abord imaginée comme le point de départ d’une échappée vers d’autres horizons, elle est finalement devenue une tribune pour le bilan du président de la République et de la première ministre.
Initialement pas conviée à ce rendez-vous construit en défiance à son égard, Élisabeth Borne a été priée par l’Élysée de s’y rendre pour conclure la journée. «Un événement informel», a-t-elle minimisé. Bruno Roger-Petit, le conseiller d’Emmanuel Macron, était lui aussi sur place pour humer l’atmosphère. «Débattre, c’est se respecter. Se réunir, c’est s’apprécier. Il n’y a aucune crainte à voir les femmes et les hommes intéressés par l’avenir de leur pays se réunir pour débattre. Il ne peut en sortir que du bon», a affirmé le ministre de l’Intérieur lors d’un discours sans relief d’une vingtaine de minutes, relu au préalable par Emmanuel Macron. Envoyé en éclaireur, un conseiller d’Élisabeth Borne veillait à la teneur des échanges avant l’arrivée de la chef du gouvernement. «Notre unité est notre force. Nous devons la protéger à tout prix et ne pas paver nous-mêmes le chemin des extrêmes», a mis en garde la première ministre. Pas question de revivre une nouvelle «cuvée du redressement», du nom de la rentrée tonitruante d’Arnaud Montebourg neuf ans plus tôt.
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Pour son outrecuidance, celui-ci avait alors été débarqué du gouvernement le lendemain, remplacé au pied levé par un certain… Emmanuel Macron. À l’évidence, le chef de l’État a réussi dimanche à maintenir son ministre dans son giron, alors que le débat sur sa succession a subitement fait irruption cet été. La faute à des confidences estivales de Gérald Darmanin, certifiant dans nos colonnes qu’il se tournait dorénavant vers 2027. «Je ne veux pas que les classes laborieuses rejoignent un rassemblement haineux», a réaffirmé le ministre dimanche, tout en assurant qu’il n’était pas «dans une autre dynamique que celle des idées». Tout en affirmant qu’il était, comme député du Nord, «un successeur de l’abbé Lemire, disciple du catholicisme social qui s’est battu parfois contre son évêque, contre ses amis, contre un capital un peu trop égoïste».
Du bilan du chef de l’État, il a été beaucoup question, davantage qu’un aggiornamento du discours macroniste sur les classes populaires. «Nos efforts ne sont pas toujours reconnus à leur juste mesure», a regretté Olivier Dussopt, le ministre du Travail, chiffres à l’appui. «La réalité statistique est contestée», a-t-il dénoncé. «Un sentiment, même lorsqu’il ne correspond pas à la vérité des chiffres et à la rationalité du réel, ne se méprise pas», a rétorqué son ami Gérald Darmanin. La remarque vaut aussi pour Élisabeth Borne, qu’il trouve souvent trop «techno». Elle a pourtant été presque encensée dimanche par le «premier flic de France», qui rêvait de la remplacer en juillet dernier: «Je sais que la grande sensibilité sociale des gens du Nord, tu la partages.» Le «parcours» personnel de la première ministre «est un exemple pour nous tous», a dit le ministre de l’Intérieur. N’en jetez plus! Si plusieurs parlementaires LR ont fait le déplacement (la députée Virginie Duby-Muller, les sénateurs Marc-Philippe Daubresse, Pierre-Jean Verzelen et Stéphane Le Rudulier), certains ont été effrayés de voir la macronie mettre sous cloche l’initiative de leur ami de Beauvau. «La venue d’Élisabeth Borne change la donne, j’ai donc décidé d’annuler ma présence. Je reste bien sûr ouvert au dialogue avec le ministre de l’Intérieur», a déclaré le député Julien Dive.
Au sein de la majorité, les critiques n’ont pas manqué. Absent, Bruno Le Maire assume de tracer son sillon vers 2027 différemment. «Ce n’est pas le moment de faire des calculs politiques», confie le ministre de l’Économie au Figaro. Son collègue Clément Beaune (Transports) s’est rendu dimanche dans le Loiret avec des militants Renaissance: «L’unité de notre camp politique est un trésor et une obligation. C’est la colonne vertébrale de notre mouvement et nous devons la défendre», a-t-il mis en garde. Autant d’amicales pressions qui ont mis un voile sur le rassemblement de Gérald Darmanin mais qui ne peuvent occulter les ferments de son ambition ni sa stratégie pour l’assouvir. «Il n’y avait pas beaucoup de LR aujourd’hui, mais beaucoup d’UMP», a remarqué le député LR Alexandre Vincendet, non loin de Catherine Vautrin, Jérôme Lavrilleux, Sébastien Lecornu, Gil Avérous ou Jean-Baptiste Lemoyne. Comme si s’était formé, ici, à Tourcoing, un nouveau parti de droite qui ne dit pas son nom. Et qui prend date pour l’avenir.