La réception à l’Élysée était annoncée comme une « rencontre avec les maires des communes particulièrement touchées par les violences urbaines » mais nombre d’élus sur les plus de 200 invités accueillis rue du Faubourg Saint-Honoré mardi, sont repartis avec une impression d’inachevé. Visiblement, c’est ce qui a poussé plusieurs d’entre eux à quitter les lieux avant la fin comme le maire LR de Neuilly-sur-Marne. Zartoshte Baktiari a été l’un des plus ouvertement critiques en sortant du palais présidentiel. « J’y suis allé avec des attentes fortes car pour moi, un président de la République est celui qui partage une vision et des éléments concrets. Mais non seulement nous n’avons pas avancé mais de nombreux maires exténués ont eu simplement l’impression de participer à une thérapie de groupe. Et certains sont venus de loin et sont repartis avant la fin, comme moi ». Un jeune maire de l’Isère, encore sous le choc de son école détruite, aurait aimé entendre certaines réponses qui ne sont jamais venues.

L’élu aura pourtant attendu plus de trois heures avant de tirer sa révérence, espérant comme d’autres qu’au fil des départs réguliers, il aurait une petite chance de poser une question. Mais il a eu le sentiment que tout était « orchestré » et « préparé d’avance », à l’image des premiers mots laissés par Emmanuel Macron à Patrick Jarry, maire PC de Nanterre, lieu déclencheur des émeutes après la mort du jeune Nahel. « J’ai levé la main pendant 1h30 en vain. Le président avait identifié les maires qui devaient parler et l’édile de Nanterre à ses côtés a lu des notes. Mais finalement, en évitant l’esclandre ou les critiques, Emmanuel Macron a fâché tout le monde et pour moi, cet exercice s’est révélé désastreux, un fiasco », regrette Zartoste Bakthiari, allant même jusqu’à juger que la fonction présidentielle ressortait « abîmée » de cet événement dans la mesure où le départ anticipé de nombreux maire lui a laissé finalement une « impression de mépris » à l’égard du chef de l’État.

La critique du maire francilien figure parmi les plus sévères mais d’autres collègues ont clairement exprimé des regrets. C’est le cas de Quentin Gesell, maire DVD de Dugny, parti lui aussi avant la fin. « Je n’ai rien entendu de très constructif mais un point d’étape est prévu à l’automne et on espère du concret mais reconnaissons que ce n’était pas le meilleur des formats », nuance l’élu. « À la fin du discours la moitié de la salle était vide… tout le monde est sorti en tirant la tronche », a déclaré Philippe Rio, maire PCF de Grigny. Si Marie-Claude Jarrot, maire Horizons de Montceau-les-Mines, s’est réjouie de percevoir un « président à l’écoute », Damien Meslot, maire LR de Belfort, a eu le sentiment de se retrouver face à un chef de l’État en « état de sidération » et « un peu perdu ».

Parmi les autres critiques portées sur ce rendez-vous présidentiel, on entend également le regret d’avoir participé à une opération de communication présidentielle. « Nous avons clairement été instrumentalisés. Visiblement, en invitant autant d’élus l’objectif était de faire masse », poursuit le maire de Neuilly-sur-Marne. Anticipant ce risque, certains ont même décliné l’invitation, à l’image de Patrick Proisy, maire LFI de Faches-Thumesnil, qui a accusé le pouvoir de se « refaire une santé » sur le « dos » des maires et de « mettre sous le tapis les vrais problèmes ». A contrario, il faut noter aussi que certains maires ont salué une occasion de dire ce qu’ils avaient sur le cœur après avoir été en premières lignes durant ces longs jours de violences.

Mais sur le fond, ce qui peut expliquer une telle déception des maires, c’est peut-être l’urgence des solutions concrètes qu’ils attendaient dans l’espoir de ne plus subir à une telle vague d’émeutes. À Neuilly-sur-Marne, Zartoshte Bakthiari, maire de la deuxième ville de France à avoir déclenché un couvre-feu après Clamart, espérait des réponses immédiates sur la sécurité. « Sur le terrain, la police nationale nous dit que ces émeutes se sont calmées parce que les trafiquants de drogue ont sonné la fin de la récréation. C’est lunaire ! », s’emporte l’élu, lassé d’être confronté à de multiples problèmes pour assurer la sécurité dans sa ville. Recrutement de policiers municipaux formés, équipements adaptés (sachant que les lanceurs de balles de défense municipaux (LBD) tirent à 7 mètres contre 40 mètres pour celles de la police nationale), impossibilité légale d’utiliser des drones quand les dealers en utilisent… Le maire de la région parisienne estime que l’urgence des réponses à apporter est fortement placée aussi sous la pression des Jeux Olympiques prévus dans un an.

Le maire d’origine iranienne aurait apprécié aussi des éclairages sur les moyens de lutter contre la déscolarisation (il regrette de ne pas pouvoir disposer d’un fichier des jeunes à problèmes) ou encore sur les enjeux de la fiscalité locale. Surtout, en répondant à l’invitation du président de la République mardi, il avait espéré de nouvelles perspectives.

Mais après ce rendez-vous manqué, il ne semble plus très certain de la détermination du pouvoir à mettre en route réellement des solutions pour écarter le risque de nouvelles insurrections. « Depuis six ans, Emmanuel Macron avait largement le temps de poser des pistes mais il ne l’a pas fait et il ne fera pas », souffle le maire de Neuilly-sur-Marne. Avant de conclure : « Je veux porter à bout de bras le petit bout de République que je dois défendre mais je souhaite que le président de la République nous permette de le faire en prenant des décisions. J’ai envie de lui dire : fixez-nous un cap et nous vous suivrons ! Mais nous sommes sur un navire dans une tempête, sans capitaine et sans phare pour nous éclairer dans la pénombre ! ».